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La terre aux paysans

L’acampamento est le lieu qu’occupent les « sans terres », clandestinement. Lorsque son occupation est légalisée, ce dernier devient un assentamento. Sur l’assentamento  d’« Irmã Alberta »un vent frais souffle ce matin. Dans ses rues, des enfants rentrent de l’école, des chiens errent et  dans l’air une odeur nauséabonde se dégage. 

Un portail en bois refermant une maison hétéroclite qui abrite un couple de personnes âgées  ouvre ses portes. Cette maison de fortune à l’apparence misérable contient tout de même le strict minimum. En effet, malgré le sol bétonné, le toit instable qui laisse passer la lumière, les murs faits en fines planches de bois, la poussière et l’odeur d’humidité, l’habitation est dotée d’un ventilateur, d’un ordinateur et d’une télévision.

Au milieu de l’une des trois seules pièces de la maison, Maria Noémia et Benedicto Ozmar, 60 et 61 ans, sont là depuis  11 ans. Ils se remémorent leurs souvenirs en regardant les photos de l’un de leur 8 enfants parti étudié la médecine à Cuba. L’une de leurs filles habite à proximité avec son mari et ses deux enfants. Ses parents font sa fierté car ce sont eux qui lui ont appris à cultiver la terre, et à en tirer profit. D’ailleurs, le jardin de sa mère reflète sa main verte. Sa parcelle est très diversifiée : safran, menthe, manioc, pommes de terre, avocats et aricu(plante utilisé par les indien pour faire leur maquillages).

Au bout d’une pente, se trouve une autre parcelle appartenant à une autre famille. Iranis, 66 ans et Armindo, 64 ans résident aussi ici depuis 11 ans. Assis près de la télé Iranis sourire aux lèvres évoque la nouvelle réforme. En effet, le chemin à été long avant d’acquérir ce terrain. Il était prédestinée à être une décharge et prés de 900 personnes était en attente pour l’obtenir. Mais « Grâce à Dieu », dit-elle, il n’a pas été très long pour elle et sa famille de l’obtenir. Désormais, poules, coqs, oies et porcs se chamaillent dans le jardin sous les yeux du vieux couple. Sa terre aussi est fertile. C’est Armando qui la cultive, elle produit des oranges, des bananes, des citrons, du manioc et des haricots. Elle confirme d’un air heureuse : « cela nous suffit largement pour vivre, il n’y a aucun inconvénient à cette vie ».
Ecrit par Camelia, Inès, Karina et Cassandra. Photos : Mariana

Source : http://voyagebresil2013.blogspot.com/p/lacampamentoest-le-lieu-quoccupent-les.html

Pour soutenir concrètement le Mouvement des Sans Terre, on peut écrire à Lucas Tinti, prointer@mst.org.br

URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2013/05/27/la-terre-aux-paysans/



Au coeur des Sans Terre, une certaine école…

Le soleil éclatant sur Guararema (Etat de Sao Paulo), perdu dans la campagne brésilienne. Un grand portail donne accès à ce terrain, des grands arbres luxuriants et tropicaux entourent un chemin de roches et de terre.

Nous voilà dans “l’Escola Nacional Florestan Fernandes”, une école réservée au Mouvement des Sans Terres.

Les bâtiments imposants dominent le terrain où deux types de batiments se différencient entre les maisons traditionnelles latino-américaines et les habitats qui servent de logements pour les résidents. Ces logements qui sont au nombre de 5 peuvent accueillir jusqu’à 200 personnes.

Dans l’espace pédagogique, une bibliothèque où l’on peut trouver une salle d’étude avec un espace détente. Beaucoup de salles de cours avec des noms de célèbres militants, telles que la salle “Rosa Luxembourg” avec des portraits de militants comme Che Guevara, Emilliano Zapato ou encore le philosophe Karl Marx.

Egalement un énorme terrain de “futebol”, entouré d’herbes hautes. Dans les espaces verts, un jardin separé en deux parties, une partie réservée pour les plantations médicinales et l’autre, pour les fruits et légumes qui serviront pour les repas au refectoire, dont la plupart des aliments frais est cultivée par eux-mêmes.

Ecrit par Grazziani et Nassim. Photos : Melis

Portrait de Djacira Maria De Oliveira Araujo

Assise sur un banc, entourée de plantes tropicales et sous un soleil de plomb, Djacira Maria De Oliveira Araujo, directrice de coordination politique et pédagogique de l’école parle de son engagement dans le mouvement des sans terres (MST).  Le CPP (coordination politique et pédagogique) est d’après ses indications, composée de quatre personnes qui se  consacrent à des tâches différentes : trois directeurs, Erivan Hilario, Diego Ferrari, Paulo Almeida et enfin elle-même.  Cette CPP organise, en outre, la vie d’une « brigade » de militants qui vivent à l’école durant toute l’année. Ces derniers sont choisis par le MST et assurent l’entretien du lieu, « chacun a son rôle à assumer », explique la directrice avec conviction.  

Avant de devenir directrice de cette école, Djacira a réalisé différents projets pour le MST dans d’autres états du pays. Elle énumère  les principales actions du mouvement. Tout d’abord, le MST lutte pour l’occupation des terres, puis pour la réforme agraire, enfin pour la transformation sociale.

La directrice met au clair certains termes très importants à la bonne compréhension de l’association. En effet, un acampamento est le fait d’occuper des terres. Lorsque l’enquête de l’état  aboutit  « acampamento devient assentamento ». La régularisation est officialisée par l’INCRA (Institut National de la Colonisation de la Réforme Agraire).

Le conflit de la répartition inégale des terres remonte au temps de la colonisation, raconte-t-elle. En effet, dès l’arrivée des Portugais, les terres des natifs du Brésil leur ont été soustraites par les colons. De ce fait, le Brésil en subit encore maintenant les séquelles. Même si l’on suppose que la situation s’est améliorée, l’abolition tardive de l’esclavage ralentit ce processus de recherche d’égalité.

Après cette longue réflexion sur l’objectif de l’association, Djacira explique les fondements de l’organisation de l’école. Celle-ci est structurée en quatre secteurs : la production (plantes, poules..), les services qui concernent le nettoyage et la cuisine notamment, la pédagogie (enfants, culture, cours, communication, secrétariat de l’école) et l’administration.  Chaque unité de travail a un responsable.

Dans le secteur pédagogique, la directrice ajoute que l’accueil des étudiants révolutionnaires est pris en charge, c’est-à-dire qu’il est gratuit. Cependant, ils donnent du leur en participant aux activités de l’école. Selon les mots de la directrice, il y a un esprit de camaraderie. D’ailleurs ici tout le monde s’appelle  « campanheiro/a »

D’un point de vue financier, l’école a été construite grâce aux donations et aux bénéfices tirés des œuvres que de très grands artistes ont faites spécialement pour cette cause : le chanteur brésilien Chico Buarque, le photographe Sebastião Salgado avec son livre Terra, le Prix Nobel portugais de littérature José Saramago.  Cependant, les organismes internationaux donnent dorénavant beaucoup moins, notamment en Europe, à cause de la crise.

Comme ils cultivent un potager et un verger, ils produisent une partie de leur propre nourriture  mais ne peuvent pas vivre en autosuffisance (tout ce qui est périssable est acheté). Ils sont aidés par le mouvement lui-même, qui produit des aliments biologiques dans d’autres assentamentos, par exemple le riz ou le sucre. 

Enfin, le MST est considéré comme la référence sur tout le territoire latino-américain. D’autant plus que l’école, qui est l’unique école au Brésil du Movimento dos Sem Terras, se situe près de São Paulo, la plus grande ville d’Amérique latine.

Ecrit par Sitara et Sonia. Photos : Melis

 Portrait de Diego Ferrari

Sur une terrasse ensoleillée, Diego Ferrari s’installe. A 33 ans, cet argentin fait partie de l’école du MST depuis un mois et demi. Son père étant chef d’entreprise, il grandit dans le confort et le bien-être. Là-bas, il intègre une organisation « Front Dario Santillan » s’occupant des SDF, des orphelins  et femmes victimes de violence. Cette organisation est en partenariat avec le MST. C’est pourquoi à présent il est l’un de leurs membres actifs.

Il est l’un des coordinateurs de l’école, concernant les cours de formation politique d’Amérique latine. Ce qui lui plait le plus dans le MST, c’est de rendre les gens heureux, égaux et éviter les injustices .Pour lui, le changement  a été radical, il quitte un espace urbain afin de se retirer  en autarcie a la campagne. Il rajoute d’un air nostalgique «  en effet, ça été un sacrifice de vouloir vivre mes rêves ». Diego est un homme ambitieux et rempli de sagesse, il vit pour le bien être des personnes et de la nature. Auparavant, il était enfermé dans une fausse réalité, nous dit-il. Le vrai sens de la vie, il l’a appris ici. Pour lui, l’homme doit aimer la nature et la protéger. Il compte mener sa vie selon ces principes. Malgré le fait qu’il se sente bien au Brésil, il compte retourner prochainement en Argentine car il y a laissé tous ses proches. Il appréhende son retour au pays puisque beaucoup de ses amis sont de  droite. De plus, son père n’a jamais adhéré à ses idées et ne cautionne donc pas ce mode de vie. Pour lui, la jeunesse est synonyme de révolution. En clin d’œil à notre ville, il conclue en ajoutant qu’il aime la culture urbaine des périphéries de Paris et la liberté d’expression des jeunes.

Ecrit par Camelia, Inès, Karina et Cassandra. Photos : Melis

Portrait de Claudio

La fumée du barbecue embaume l’air de la forêt. Quelques habitants, après avoir durement travaillé dans la rénovation d’une maison, commencent leur pause déjeuner. La chaleur est étouffante. Claudio, 37 ans, est un habitant de cette école depuis un an. Enseignant en sciences et propriétaire d’une terre, il a voulu être

solidaire en contribuant au Mouvement des Sans Terres (MST) : « c’est un processus de rotation ». En effet, les gens viennent y vivre pendant deux ou trois ans, puis d’autres viennent à leur place.

Claudio, s’occupe de la production : « j’aide dans la production des salades, des fruits… ». Selon lui, la vie à « l’intérieur » de l’école n’est pas plus difficile. En effet, ceux qui viennent habiter ici « ont déjà l’habitude de vivre en communauté ». Leur vie est organisée par un emploi du temps. La discipline est très rigide, mais Claudio s’y est habitué. Pour lui, le MST contribue à la population discriminée et défavorisée. Le MST existe depuis 30 ans. « Avant, le mouvement était incompris. Mais maintenant, j’y crois », affirme Claudio. Le MST a réussi à convaincre plus de population. De son point de vue: « en étant riche, c’est dur, on n’a pas conscience de devoir partager ou pas ». Mais si l’individu est extrêmement riche : « quand t’as conscience que t’as énormément d’argent, tu peux te permettre de partager, car tu sais que cela ne va pas t’appauvrir ». Il n’y a qu’une condition pour appartenir au MST : « Juste contribuer ». 

Pour Claudio, le MST a subi des améliorations : « nous avons des terres raisonnables pour survivre ». « Dans les années 80, quand les paysans n’avaient pas de terres, ils partaient à la ville. Maintenant, ils viennent ici ». Claudio ne dément pas : le grand problème est judiciaire. « Quand le MST fait un pas en avant, d’autres le font reculer ». 
Quant à la question « Etes-vous heureux ici ? », il hésite : « oui mais cela aurait pu être mieux ». Ce qui lui manque, c’est le choix des matières enseignées : « par exemple, pour étudier les sciences, il faut aller ailleurs ». Et ce n’est pas tout. Ceux qui choisissent d’appartenir au MST ne peuvent plus être eux-mêmes. Chacun est obligé de se soumettre aux autres, afin d’être sur un pied d’égalité. Claudio, auparavant autoritaire, ne peut pas l’être ici. Chaque personne doit remplir une fiche d’auto-évaluation sur ses vices. Dès son arrivée, puis régulièrement jusqu’à la fin, afin de suivre l’évolution de son comportement : « on ne peut pas être soi-même ici ».

Ecrit par Adèle, Bintou, Elizabeth et Lucille. Photos : Dania

Portrait de Marquinho

Un petit air de samba et ça y est, il est lancé. Á vingt ans à peine, Marquinho a quitté sa famille pour rejoindre l’ecole du MST. Cela n’entame pas pour autant sa bonne humeur. Ses parents étant eux-mêmes travailleurs agricoles, il fut dès son plus jeune âge confronté au problème du partage inégal des terres. C’est à 12 ans qu’il s’engage personnellement dans l’organisation. Lorsque ses parents lui parlent de cette école, il prend donc la décision d’y vivre afin de participer au combat mené pour la justice. Cela lui permet de poursuivre ses études tout en agissant pour la cause qu’il défend. Ce combat est en effet une affaire familiale car ses parents sont eux-mêmes engagés dans une assentamento, la “Nova Conquista”. Malgré une prise de contact régulière, ses proches lui manquent. Mais il sait que ce sacrifice n’est pas vain. Un an déjà qu’il a integré l’organisation, et il s’y sent comme chez lui. A sa maniere, il veille au bon déroulement des taches, en s’occupant volontairement tantôt du jardin, de tout ce qui touche à la production agricole, tantôt de la cuisine, via l’éxécution de taches diverses (vaisselle, nettoyage du refectoire…). Ici pas de salaire, ni de chef, chacun contribue à sa maniere au bien-être de la communauté, chacun régit soi-même son propre travail. La vie en communauté ne semble pas être un frein pour lui. Il s’est assez bien adapté à la vie en communauté ce qui est de bon augure pour l’année qui lui reste à passer ici.

Le jeune du Maranhão dit être heureux ici, considérant avoir trouver “une famille” à Guararema, au sein de ses semblables, les insoumis anti fazendeiros.

Ecrit par Djeneba, Grace, Anthony et Clara. Photos : Charity

Mistica e revolução

“On doit résister !”.Les chants des Sans Terre réveillent la “Escola Nacional  Florestan Fernandes”, une école dans laquelle les Sans Terres enseignent leur vision de la pédagogie. “C’est le temps de la rébellion !”, crient-ils en levant le poing. “Internationalisation de la lutte ! Internationalisation de l’espoir !’, insistent-ils en frappant sur des tambours. Un homme et une femme dressent les drapeaux des sans-terres. Ils crient ensuite en espagnol : “Patrie libre, nous vaincrons !”. Le public les accompagne en chœur.

S’en suit une assemblée. L’amphithéâtre est plein. Rempli de gens de multiples origines. Les drapeaux des Sans Terres accroches au mur, au nombre de deux. Au milieu, leurs initiales : MST (Mouvement des Sans Terres). Le MST est un mouvement social d’éducation et de pédagogie qui consiste a se battre pour que tous les petits agriculteurs aient des terres. En effet au Brésil, 1% de la population possède 47% des terres. Aussi, le Brésil est le second pays, après le Paraguay, ayant une répartition inégalitaire des terres. La seule issue de ces paysans pour vivre est la lutte contre les inégalités. Leur objectif est de comprendre les autres cultures, et ils ont une vision futuriste sur une meilleure société plus juste et plus égalitaire.

Le MST a diverses pédagogies. Premièrement, la pédagogie de l’organisation collective. Le MST est en effet le mouvement le plus organisé après l’armée selon les medias. Chaque personne a des fonctions et des taches mais aucun individu n’est plus important qu’un autre. “Le fait de s’organiser est un acte pédagogique”.C’est l’action qui montre l’unité, pas les idées ou les paroles :“L’unité est le plus grand patrimoine de notre mouvement”.D’ailleurs, en 2014, aura lieu le 6eme congrès national du MST, qui est l’instance la plus importante et qui consiste à critiquer les points faibles ou les défauts, à discuter du chemin à prendre, des idées et des partenaires stratégiques à qui s’allier.

Deuxièmement, la pédagogie de la terre et de la culture qui a pour objectif de produire ; d’occuper une terre pour avoir un travail. Le MST “ne veut pas abandonner la culture de la campagne”. Il arbore un aspect mystique de l’agriculture. En effet, la dimension spirituelle combinée aux héritages de l’Eglise du peuple natif sont très importants dans la recherche d’une société parfaitement égalitaire. Tout cela représente une dimension subjective qui aide les Sans Terres à se former, notamment “grâce à la musique, aux poèmes, aux chants…”. L’aspect mystique les “aide à aller plus loin”. Bien évidemment, dans leur culture, les Sans Terres n’utilisent pas de “poison”, c’est à dire de produits chimiques : tout est bio. Ensuite, la pédagogie de l’histoire. Pour les Sans Terres, il faut cultiver la mémoire des anciens. Le MST est la continuité d’un ensemble de mouvements qui existaient avant lui, et qui laissera place à d’autres après lui. C’est un mouvement ponctuel, il y a eu quelque chose avant et il y aura quelque chose après. En outre, la pédagogie du mouvement qui a pour objectif de combattre la routine, la passivité, dans une dynamique permanente : “Le MST est comme un être vivant. Il n’est pas statique. Il vit. Il bouge. Il évolue.”Il y a un mouvement concret, physique, et un mouvement intellectuel, dans les idées. Il ne faut pas être passif dans l’action. Enfin, la pédagogie de l’alternance. “On ne peut pas être Sans Terres sans étudier”; la pratique est liée à la théorie. Les agriculteurs Sans Terres doivent suivre le principe de l’étude: lier les idées et réfléchir.

Le MST est donc un mouvement avec des idées structurées et dogmatiques. Par exemple, les Sans Terres considèrent que fermer une école est un crime contre l’Humanité. Autre exemple de leur conviction : « il faut qu’un sujet s’informe, il faut qu’un sujet s’éduque ». Ainsi, « la pédagogie du Mouvement des Sans Terres nait de la lutte. »

Ecrit par Adèle, Elizabeth, Bintou et Lucille. Photos : Dania

Sources : http://voyagebresil2013.blogspot.com/p/sur-uneterrasse-ensoleillee-diego.html et http://voyagebresil2013.blogspot.com/p/on-doit-resister.html

Pour soutenir concrètement le Mouvement des Sans Terre on peut écrire à Lucas Tinti, prointer@mst.org.br

URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2013/05/27/au-coeur-des-sans-terre-une-certaine-ecole/



Joao Paulo Rodriguez, de la direction nationale des Sans Terre : « Nous sommes persécutés et criminalisés parce que l’agro-business est hégémonique. »
Joao Paulo Rodrigues

Joao Paulo Rodrigues

Entretien réalisé par Gerardo Elorriaga

A côté des immenses routes brésiliennes campent plus 150.000 familles paysannes qui aspirent devenir propriétaires d’une petite exploitation. Le Mouvement de Travailleurs Ruraux sans Terre (MST) soutient cette revendication des travailleurs agricoles (journaliers, précaires, saisonniers, etc.) depuis sa création il y a trois décennies. Aujourd’hui, cette organisation est devenue un des mouvements sociaux les plus importants de l’Amérique «latine». Il poursuit sa lutte dans un contexte encore plus complexe et mondialisé, dans lequel convergent d’énormes intérêts économiques et des affrontements sociaux d’ampleur. Joao Pablo Rodrigues Chaves, membre de la Coordination nationale du MST, vient de recevoir le prix Paix et Réconciliation 2013 de la mairie de Guernica [ville bombardée le 26 avril 1937 par les troupes franquistes et nazies et dont Picasso a peint un tableau entre mai et juin 1937], pour récompenser une lutte qui s’est vue entravée par la répression étatique et des assassinats «clandestins», par des malfrats au service des grands propriétaires.

Le conflit social se poursuit dans la campagne brésilienne. Au cours de ces trente dernières années, les progrès se sont-ils consolidés ou la situation s’est-elle aggravée?

Joao Pablo Rodriguez – Le MST a été fondé au cours d’une période de dictature [1964-1985; le MST a vu le jour officiellement en 1984 mais s’est développé au cours des années 1970], et pour nous, la consolidation d’un processus démocratique et les conquêtes économiques, tout comme la politique de crédits agricoles, l’introduction de l’énergie électrique ou l’éducation, constituent des avancées importantes pour les paysans,.

Pourtant, la concentration de la propriété s’est accentuée au cours de ces dernières décennies?

Les transnationales, qui achètent des terres pour les affecter à la monoculture d’exportation, constituent un nouveau facteur. Elles cultivent de la canne à sucre pour la production d’éthanol dans l’Etat de São Paulo ou dans le Nordeste du pays; ou plantent des eucalyptus pour faire de la pâte de cellulose à l’aide de capitaux finlandais ou de l’Asie du sud; ou encore se consacrent au marché du soya dans le centre ouest du pays.

Monsanto [un des deux grands groupes, avec Syngenta, des «sciences du vivant» dans l’agro], Bunge [transnationale du grain d’origine bréslienne, Bill Gates [fondateur de Microsoft], George Soros [fonds Quantum] et beaucoup d’autres sont entrés dans ce marché.

L’agriculture brésilienne est-elle un exemple de mondialisation commerciale?

Le capital transnational a pénétré dans notre pays à la recherche de possibilités d’investissements sûrs et rentables au cours d’une période de crise économique récurrente. Toute l’exportation de grains (blé, maïs, etc.) – sans mentionner le soja,  cette légumineuse – est répartie entre cinq ou six firmes. La production de viande est captée par trois chaînes frigorifiques. Ce phénomène nous met dans une situation très compliquée, car nous devons faire face non plus à un latifundiste local, mais à une grande entreprise transnationale dont le siège se trouve à New York ou à Helsinki.

Les gouvernements «progressistes» de Lula da Silva et de Dilma Rousseff soutiennent-ils ce développement ?

Dans la mesure où le modèle de développement brésilien est fondé sur le soutien à l’investisseur étranger, on peut dire que Lula a été le père des pauvres et la mère des riches. Le Brésil consacre en effet 2000 millions de dollars (1535 millions d’euros) à des prêts, des subsides pour des infrastructures ou des incitations pour les paysans, alors que les entreprises agro-industrielles disposent de 120.000 millions. Par exemple, le soya destiné à la consommation interne est soumis à l’impôt alors que celui destiné à l’exportation en est exempté.

Il y a une année trois de vos représentants ont été assassinés. Qui tue au Brésil?

C’est celui qui possède la terre qui tue. Les grandes entreprises sont très modernes, leurs plantations de São Paulo disposent de la technologie la plus récente, mais le même groupe peut posséder une exploitation tout à fait archaïque, avec un système d’esclavage et des milices armées à Maranhao, au nord-est du pays. Nous avons également des problèmes avec la police locale qui est dressée contre nous. Nous sommes persécutés et criminalisés parce que l’agro-négoce est aujourd’hui hégémonique. Ils considèrent les paysans sans terre, les indigènes, les syndicalistes et les écologistes comme étant les «méchants», les ennemis.

Est-ce que des fléaux comme l’esclavage et le travail des enfants persistent?

Ils persistent parce que l’agriculture est mixte. Il y a celle qui est moderne et celle qui est fondée sur le travail bon marché d’une main d’œuvre privée de droits. Cette agriculture détruit aussi les forêts et fait pression sur les petits propriétaires [ou ceux qui ont occupé des terres et les ont défrichées: posseiros] pour qu’ils vendent leurs terres. Dans leurs exploitations isolées, les travailleurs sont obligés de payer le logement, la nourriture et les vêtements. L’année passée, 2000 personnes qui se trouvaient dans cette situation [de travail forcé et de «consommation» contrainte] ont été libérées.

Est-ce que le pays est conscient des risques que pose cette monoculture intensive, non seulement sur le plan économique mais également sur le plan sanitaire, à cause de l’utilisation massive de pesticides qu’elle exige ?

Non. Le Brésil est le plus grand consommateur de produits agro-toxiques du monde, avec une moyenne de 5 kg par personne, soit presque cinq millions de kilos annuels. Le phénomène est très grave, car ces produits sont répandus par avion, ce qui affecte la santé des êtres humains. On fumige les pâturages et les cultures de soya, de maïs, d’eucalyptus, mais la production de haricots, de manioc ou de fruits comme la mangue stagne. Les prix des aliments sont les plus hauts d’Amérique latine, celui des tomates a augmenté de 150%, les rendant plus chers que la viande.

Ce modèle de développement est-il viable ?

Ce modèle n’est pas soutenable. Les pays émergents ont besoin de nouveaux procédés de production. Actuellement on n’investit avant tout dans la technologie destinée à la production de biodiésel. Nous sommes en train de perdre la souveraineté alimentaire; les paysans migrent vers les villes et les grands capitalistes veulent exploiter l’Amazonie pour en extraire le fer et d’autres ressources minérales et «biologiques». Nous allons avoir d’énormes problèmes sociaux et écologiques.

La classe politique ne semble pas avoir conscience des risques encourus, mais qu’en est-il de la société ?

On est conscient du fait que le pays s’enrichit face à un monde en grande partie en crise, qu’une dite classe moyenne réclame de bons logements, des voitures, des télévisions et des frigos… à crédit. La population brésilienne se concentre en cinq grandes villes: São Paulo, Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Fortaleza et Salvador. Elle se soucie bien peu de ce qui peut arriver au Mato Grosso ou dans l’Amazone, même si la production agricole, au sens large, reste le grand moteur économique du pays. Actuellement l’augmentation des cas de cancer préoccupe beaucoup, mais il n’y a pas de débat sur les causes de cet accroissement [liés à de nombreux facteurs dans le monde rural comme dans l’enfer urbain à la São Paulo]. «On» pense en termes de croissance économique mais non en termes développement social; les risques encourus ne sont pas appréhendés ou alors ils sont niés.

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Le contexte socio-économique du Brésil de la terre

Exportations agricoles: le Brésil occupe la troisième place à niveau mondial, après les Etats-Unis et l’Union européenne [la France en particulier].

Contrôle des terres: 50% de ses 65 millions d’hectares labourés se trouvent entre les mains de grands groupes économiques, et 54% des cultures sont transgéniques.

Superficie cultivée: les exploitations dépassant les 100’000 hectares ont passé de 22 en 2003 à 2008 en 2011.

Membres du MST: le MST compte 2,5 millions d’affiliés et a été [et est] le principal bras de levier pour l’établissement de 500’000 familles sur des terres.

Les victimes: depuis 1985, 1566 personnes ont été assassinées au Brésil, simplement pour avoir défendu leur droit à la terre. Seuls 8% de ces crimes ont été jugés.

Source : http://alencontre.org/ameriques/amelat/bresil/bresil-entretien-avec-joao-pablo-rodriguez-chaves-dirigeant-du-mst.html

Pour soutenir concrètement le Mouvement des Sans Terre, on peut écrire à Lucas Tinti, prointer@mst.org.br

URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2013/05/25/joao-paolo-rodriguez-de-la-direction-nationale-des-sans-terre-nous-sommes-persecutes-et-criminalises-parce-que-lagro-business-est-hegemonique/



Il est temps de réaliser enfin la réforme agraire
La redistribution d’exploitations aux paysans sans-terre est peu ou mal appliquée, dénonce un avocat qui défend leur cause. Les terres appartiennent en majorité à de grands propriétaires, certains sols donnés sont stériles, et les paysans manquent d’assistance technique.
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« Des favelas rurales » dans la campagne brésilienne :  c’est l’alerte lancée en février dernier par Gilberto Carvalho, le Secrétaire Général de la Présidence de la République, au sujet de certains « assentamentos ». [Ce sont les colonies de paysans qui ont reçu une approbation officielle après l’occupation d’une terre par l’Institut National de la Colonisation et de la Réforme Agraire (Incra)].

Les opposants aux mouvements sociaux ruraux n’attendaient que ce message pour enterrer pour de bon la réforme agraire.

Mais, de façon démocratique, un cadre légal a été inscrit dans la constitution pour la mener à bien [inscrite dans la constitution dès les années 60, la réforme agraire a longtemps été ignorée des autorités- notamment sous la dictature -, qui se refusaient à remettre en cause la structure de latifundias – terres appartenant à de grands propriétaires terriens. Depuis le retour de la démocratie en 1985, le mouvement de distribution des terres s’est acceléré, mais de nombreuses difficultés demeurent] .

Par conséquent, tant que la constitution n’est pas modifiée, la réforme agraire est une politique publique au caractère obligatoire. Ce n’est pas seulement pour des raisons juridiques qu’elle doit être impulsée.

Forte concentration foncière

L’ONU et la FAO [l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture], par exemple, recommandent sa mise en œuvre afin d’éradiquer la pauvreté et de rendre effectif des droits humains comme le droit à une alimentation adéquate et à l’éducation.

Pour ces organismes, la concentration foncière et l’absence de politiques publiques de production en faveur de l’agriculture familiale ont pour corollaire la pauvreté et les inégalités sociales.

Selon le recensement sur l’agriculture et l’élevage de 2006 [réalisé par l’INSEE brésilien], le Brésil occupe le deuxième rang mondial en termes de concentration des terres, derrière le Paraguay. L’indice de concentration foncière de 2006 (0.872) est plus élevé que celui des deux derniers recensés : 0.857 en 1985 et 0.856 en 1995.

En 1985, il existait 67 assentamentos, avec 117 000 familles concernées, totalisant 9.8 millions d’hectares rattachés à la réforme agraire. Aujourd’hui, les assentamentos sont au nombre de 8.792, avec 921 000 familles, pour un total de 85 millions d’hectares. De fait, même avec l’expansion des assentamentos, la concentration foncière a augmenté [73.7 % des petits paysans disposent de 12 % de terres, tandis que 0.8 % des grands propriétaires en possèdent à eux seuls 31,7 %].

Démocratiser l’accès à la terre

Ajoutons que les demandes de soutien technique ne sont pas une exclusivité du MST [le Mouvement des travailleurs ruraux Sans-Terre, dont trois militants ont été assassinés récemment]. Ce sont également des revendications des grands propriétaires. La différence, c’est que ces derniers sont entendus par le pouvoir.

Que l’on pense au soutien historique de l’Etat au secteur de la canne à sucre. Les revendications des mouvements sociaux ont pour objectif de consolider une politique publique qui, contrairement à celle de nature assistentialiste, créée des structures pour l’émancipation socioéconomique.

Les données du Recensement de 2006 montrent que l’agriculture familiale représente 84% des exploitations rurales tout en occupant seulement 24.03% des surfaces cultivées, avec des revenus près de dix fois inférieurs aux exploitations non familiales. L’agriculture familiale produit en outre la plus grande partie des aliments consommés sur le marché intérieur (60%), avec 74% du total de la main d’œuvre agricole.

La réforme agraire présuppose la démocratisation de l’accès à la terre et aux structures qui viabilisent la production. On ne peut donc dire qu’elle a échoué étant donné qu’elle n’a pas eu lieu.

Ceux qui s’opposent à ce processus démocratique ne respectent pas la constitution et encouragent l’augmentation des inégalités sociales. Par ailleurs, si la diversité alimentaire existe toujours dans nos assiettes, on peut remercier l’agriculture familiale. Dans le cas contraire, il faudrait se contenter uniquement de maïs, de soja et de viande comme menu.

CONTEXTE — Les nombreuses victimes du conflit agraire

La violence ne faiblit pas dans les zones rurales du pays. Le 2 avril, un Fábio Santos da Silva, un dirigeant du Mouvement des Sans Terre a été criblé de balles par des hommes de main, à Iguaí, dans l’Etat de Bahia. Un mois et demi plus tôt, Cícero Guedes dos Santos, un autre militant du MST était assassiné à Campos dos Goytacazes dans l’Etat de Rio de Janeiro sur des terres occupées depuis 2000.Le nombre de victimes de conflits agraires reste important au Brésil selon la Commission pastorale de la Terre (CPT), une institution liée à l’Eglise catholique :

32 en 2012 contre 29 un an plus tôt. Entre 2000 et 2012, 458 militants ont été tués, majoritairement dans les Etats amazoniens du Pará et du Rondônia, au nord du pays. Des crimes qui restent le plus souvent impunis.Dernier exemple en date, le 4 avril, le tribunal de Maraba, la capitale administrative du sud du Pará, a acquitté un grand propriétaire terrien commanditaire de l’assassinat d’un couple de militants écologistes, membres de la CPT, défenseurs de la forêt amazonienne. Le procureur a annoncé qu’il ferait appel de la sentence.

Source: http://www.courrierinternational.com/article/2013/04/09/il-est-temps-de-realiser-enfin-la-reforme-agraire
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URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2013/05/25/il-est-temps-de-realiser-enfin-la-reforme-agraire/


Du café et du poivre sous le label réforme agraire
A São Mateus, des familles d’anciens sans-terre vivent de leur production au milieu des grandes propriétés rurales.
Lavoura de café, em assentamento da reforma agrária acompanha plantação de seringueiras ao fundo (Fotos: Guilherme Zocchio)
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Lorsqu’on quitte Vitória, la capitale de l’Etat d’Espírito Santo, en direction de São Mateus, la végétation naturelle disparaît peu à peu pour laisser place à de grandes étendues dédiées à la sylviculture et à l’élevage extensif. Sur la route, des camions chargés de troncs d’eucalyptus défilent. Au fur à mesure que l’on se rapproche de São Mateus, le paysage change à nouveau : place à des terres agricoles plus modestes et à un plus grand nombre de maisons. Nous sommes au cœur d’une région productrice de café et de poivre [la deuxième du Brésil pour ces deux produits]. C’est là que se trouvent cinq assentamentos [zones créées par le gouvernement pour installer des familles sans terres], fruits de la lutte du Mouvement des sans-terre [MST, l’un des principaux mouvements sociaux d’Amérique latine].

São Mateus D

“Ici, nous avons réussi à organiser notre production et à en vivre très bien. Je dis toujours qu’avant toute chose nous devons montrer aux gens que la réforme agraire, ça marche”, souligne Juraci Portes de Oliveira, un des membres du MST. Avec la distribution de terres, la population s’est développée sans pour autant qu’il y ait eu concentration de richesses : les maisons sont à peu près de même taille, les gens cohabitent ensemble de façon harmonieuse et le commerce local est prospère. Environ 290 familles vivent dans les cinq assentamentos, qui totalisent 666 hectares de caféiers et 136 hectares de poivriers.

Sécurité alimentaire

“Dès que je suis arrivé sur cette terre, j’ai travaillé dur”, se souvient Sebastião Rosa da Silva, 73 ans, un des premiers paysans de Georgina – le premier assentamento, établi en 1985 à la suite de l’expropriation des terres. A l’époque, le choix de ces deux cultures avait été stratégique, selon Adenício Moreira da Silva, dit Taxinha, un autre paysan. “Nous voulions cultiver des plantes à racines parce que c’est une sorte de garantie de garder la terre.” Juraci Portes de Oliveira complète : “Historiquement, le café et le poivre sont des cultures qui permettent aux petits producteurs de vivre correctement, notamment grâce à la stabilité des prix.” Cette situation, pourtant, détonne par rapport à la politique agricole à l’œuvre dans la grande majorité des exploitations de l’Etat d’Espírito Santo. A l’instar du Brésil, cet Etat présente des niveaux d’inégalités et de concentration foncière considérables, avec moins de la moitié des terres disponibles pour les petits propriétaires terriens.

Selon l’IBGE [l’Insee brésilien], 18 % des terres cultivables appartiennent à de grands propriétaires (possédant plus de 1 000 hectares), qui représentent moins de 1 % des exploitations rurales. Dans ce contexte, les productions de café et de poivre des cinq assentamentos génèrent au total des revenus bruts annuels de 8,9 millions de reais [3,4 millions d’euros]. “On a coutume de dire ici que le poivre vaut plus que l’or”, fait remarquer Juraci Portes de Oliveira.Les paysans des assentamentos produisent par ailleurs une bonne partie de ce qu’ils consomment, le café et le poivre cohabitant aux côtés des haricots, du manioc, du maïs, des fruits et d’autres légumes. “C’est une nécessité”, explique Juraci Portes de Oliveira. “Les gens doivent produire pour leur propre consommation. A partir de l’idée de sécurité alimentaire, nous tentons de rentabiliser au mieux chaque hectare de terre”, précise-t-il.

AbreMSTQuand la récolte n’est pas entièrement utilisée, le surplus est généralement vendu, notamment dans le cadre du Programme national d’alimentation scolaire ou du Programme d’acquisition d’aliments [destiné aux familles les plus pauvres]. Depuis quelque temps, les caféiers ont commencé à partager l’espace agricole avec des hévéas. Il s’agit d’une stratégie à long terme étant donné que les récoltes de café ont lieu tous les deux ans et que les hévéas produisent du latex au bout de sept à huit ans. Presque tous les sous-produits du café sont mis à profit. L’écorce est ainsi récupérée afin d’être utilisée comme engrais pour les autres cultures. Tout ce travail est intimement lié à la problématique de l’irrigation. “Nous avons eu énormément de pertes en 1999 dans des zones qui n’étaient pas irriguées, victimes de la sécheresse”, se souvient Taxinha.

Tant que des systèmes d’irrigation efficaces n’étaient pas mis en œuvre dans les assentamentos, les familles connaissaient d’immenses difficultés. Cette situation a commencé à changer, selon lui, avec l’arrivée au pouvoir en 2003 de Lula, qui a apporté un plus grand soutien à l’agriculture familiale. “Le gouvernement a rendu plus facile l’accès au crédit. On a pu moderniser nos cultures et améliorer notre situation.” Taxinha souligne l’importance des politiques publiques pour soutenir la réforme agraire : distribuer des terres ne suffit pas. Malgré un meilleur système d’irrigation, les assentamentos sont confrontés à un problème d’approvisionnement en eau. Les rives du São Mateus sont ensablées, ce qui fait dire à Juraci Portes de Oliveira que l’élevage bovin extensif pratiqué autour de la région des assentamentos est le principal responsable de cette situation : “Il pousse à la déforestation et détruit peu à peu les rives du São Mateus.” Jamais à court d’idées, Juraci Portes de Oliveira pense à perfectionner les systèmes d’irrigation et à construire des retenues d’eau ou des puits artisanaux pour mieux tirer parti des nappes phréatiques.

CONTEXTE — Les nombreuses victimes des grands propriétaires

●●● La violence ne faiblit pas dans les zones rurales du pays. Le 2 avril, Fábio Santos da Silva, un dirigeant du MST, a été criblé de balles par des hommes de main, à Iguaí, dans l’Etat de Bahia. Un mois et demi plus tôt, Cícero Guedes dos Santos, un autre militant de l’organisation, était assassiné à Campos dos Goytacazes, dans l’Etat de Rio de Janeiro, sur des terres occupées depuis 2000. Le nombre de victimes de conflits agraires reste important au Brésil, selon la Commission pastorale de la terre (CPT), une institution liée à l’Eglise catholique : 32 en 2012, contre 29 un an plus tôt. Entre 2000 et 2012, 458 militants ont été tués, majoritairement dans les Etats amazoniens du Pará et du Rondônia, dans le nord du pays. Ces crimes restent le plus souvent impunis. Dernier exemple en date, le 4 avril, le tribunal de Marabá, la capitale administrative du sud-est du Pará, a acquitté un grand propriétaire terrien commanditaire de l’assassinat d’un couple de militants écologistes, membres de la CPT, défenseurs de la forêt amazonienne. Le procureur a annoncé qu’il ferait appel de la sentence.

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Le Mouvement des Sans terre entre dans la campagne pour la démocratisation des médias au Brésil

Par Raquel de Lima, de la Campagne « Pour Exprimer la Liberté »
Spécial pour l
a page du MST

Photo: au Brésil les grands médias criminalisent quotidiennement les militants du Mouvement Sans Terre. Signature de la pétition pour la démocratisation des médias dans le campement « Hugo Chavez » à Brasilia, mai 2013.

La lutte des travailleurs ruraux  pour la Réforme Agraire et pour la Justice Sociale, revendications du Mouvement des Travailleurs Sans Terre (MST), est criminalisée quotidiennement par les médias brésiliens.

Pour les militants qui participent au lancement du Projet de Loi des Médias Démocratiques depuis le premier mai 2013, jour des travailleurs, c’est une réalité qui implique le besoin de changer les communications dans le pays.

Organisé par la campagne “Pour exprimer la liberté”, l’évènement a eu lieu dans le campement national permanent Hugo Chavez, organisé par le Mouvement des Sans Terre, à Brasilia. En plus de la présentation du projet de loi s’est déroulé un débat et une collecte de signatures par les participants.

Qui doute encore que les médias sont l’outil central par lequel le capitalisme naturalise l’exploitation sous toutes ses formes, reproduit son idéologie, interfère avec le droit des électeurs à rejeter l’ordre néo-libéral ? L’Argentine a montré la voie en divisant en trois tiers l’ensemble de ses ondes radio et TV, et pour la première fois, en 2013, le Brésil brise le tabou. Face au quasi monopole de l’image de la société brésilienne de la part du système Globo, le Parti des Travailleurs (PT), la CUT (première centrale syndicale du pays) ou le Mouvement des Travailleurs Sans Terre réclament à leur tour la fin de la dictature médiatique. Une loi d’initiative populaire est soumise aux signatures des citoyens dans tout le Brésil. Lors du débat qui a fait le plein de public á Brasilia les Sans Terre ont dénoncé les intérêts économiques et politiques qui  empêchent l’accès des travailleurs aux médias, et aux radios communautaires locales.

Si c’est une radio communautaire, elle doit être pour nous. La radio communautaire dans ma région est celle des propriétaires d’usine” selon  Batatinha, militante du MST dans l’état de Sergipe.

Les Sans Terre ont évalué l’inégalité de la lutte en termes de communication :  les télévisions et radios, locales et nationales, criminalisent les protestations du mouvement pour l’accès à la terre. Avec leurs messages négatifs sur les occupations, « ils poussent les communautés à s’y opposer« , témoigne un des travailleurs Sans Terre.

midia brasil 2013

La chape des médias a empêché la société d’exprimer librement ses droits, sa vision politique, son idéologie” explique Geraldo Gasparin, membre de la coordination du campement Hugo Chavez. “Malheureusement le gouvernement, à travers le Ministre des Communications, ne participe pas ni ne prend position dans le débat de la société civile pour un Cadre de Régulation des Communications, ce qui oblige la société à agir. Le campement participe à cette lutte”.

Le projet de loi, comme initiative populaire, réglemente  les articles de la Constitution qui portent sur les radios et télévisions. Le but est de destiner un tiers des fréquences aux radios et aux télévisions publiques (dont 15 % de médias communautaires) en plus de garantir la production de contenus locaux et régionaux.

La proposition prévoit également la création d’un Fonds National de Communication Publique pour appuyer les chaînes publiques et communautaires, en plus de définir des règles pour empêcher la formation de monopoles dans la propriété des médias.

Source : http://www.mst.org.br/MST-entra-na-campanha-por-democratiza%C3%A7%C3%A3o-dos-meios-de-comunica%C3%A7%C3%A3o

Traduction du portugais : Thierry Deronne

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Le massacre de Carajás et le pacte des latifundistes avec le pouvoir judiciaire, par Joao Pedro Stedile.
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Dans le cadre d’une marche pacifique, plus de mille paysans organisés par le Mouvement des Sans Terre (MST) cheminaient sur une route qui relie Parauapebas à Marabá le 17 avril 1996. Ils étaient guettés par deux bataillons de la Police Militaire dans une localité connue sous le nom de Curva de la S, dans la commune d’Eldorado de Carajás. Un bataillon sortit de Parauapebas et l’autre de Marabá, avec des camions qui bloquèrent la route des deux côtés.
Ainsi débuta un massacre prémédité, exécuté afin d’infliger une leçon à ces « vagabonds venus du Maranhão », comme l’ont exprimé les policiers lors des audiences du procès. Ces derniers quittèrent la caserne sans porter l’uniforme les identifiant, avec des armes lourdes et des balles réelles. Le commando de Marabá avisa les services de secours et l’Institut Médico-Légal (IML) afin qu’ils soient de service…
Le jugement démontra qu’outre les ordres donnés explicitement par Paulo Sette Cámara, secrétaire à la sécurité du gouvernement d’Almir Gabriel, l’entreprise Vale do Rio Doce finança l’opération, assumant tous les frais, parce que la manifestation des sans-terre sur la route empêchait la circulation de ses camions.
L’épisode s’est soldé par 19 morts sur le coup, sans droit à la défense, 65 blessés en incapacité de travail et 2 morts dans les jours qui suivirent. Le leader Oziel de Silva, âgé de 19 ans seulement, fut arrêté, menotté et assassiné à force de coups, devant ses compagnons, alors qu’un policier lui ordonnait de crier « Vive le MST ».
Ces épisodes figurent dans les actes du procès de plus de mille pages et furent décrits dans le livre « La Masacre » du journaliste Eric Nepomuceno (Editions Planeta). Après 17 ans, seuls les deux commandants militaires qui étaient reclus dans un appartement de luxe des quartiers de Belén furent condamnés.
Le colonel Pantoja tente toujours de sortir de prison et demande à purger sa peine de 200 ans sous forme d’arrêt domiciliaire. Les autres responsables du gouvernement fédéral et de l’Etat ainsi que ceux de l’entreprise Vale furent déclarés innocents. La justice se contenta de présenter deux boucs émissaires à l’opinion publique.
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Impunité des grands propriétaires terriens

Dans tout le Brésil, le scénario est identique : depuis le retour à la démocratie, plus de 1700 leaders des paysans et sympathisants de la lutte pour le droit à la terre ont été assassinés. Seuls 91 cas ont fait l’objet d’un jugement et à peine 21 auteurs moraux ont été condamnés.
Le Massacre de Carajás s’inscrit dans la pratique traditionnelle des latifundistes brésiliens, qui avec leurs bandits fortement armés ou par le biais du contrôle de la Police Militaire et du pouvoir judiciaire, s’approprient des terres publiques et préservent des privilèges de classe, commettant systématiquement des crimes qui demeurent impunis.
Leurs agissements répondent au rapport de forces politiques. Sous le gouvernement de José Sarney, face à l’avancée des luttes sociales et de la gauche, ils fondèrent l’UDR (Union Démocratique Ruraliste). Ensuite, ils s’armèrent jusqu’aux dents, au mépris de toutes les lois. C’est durant cette période que furent perpétrés la majorité des assassinats. Les latifundistes poussèrent la vanité jusqu’à présenter leur propre candidat à la présidence, Roberto Encalado, qui fut solennellement rejeté par la population brésilienne en obtenant 1% des voix.
Sous les gouvernements de Fernando Collor et Fernando Henrique Cardoso, après la déroute du projet démocratico-populaire et de la lutte sociale qui se concentrait autour de la candidature de Luiz Inácio Lula de Silva en 1989, les grands propriétaires jouirent de leur victoire et utilisèrent leur hégémonie au sein de l’Etat pour contrôler manu militari la lutte pour la terre. Durant cette période se produisirent les massacres de Corumbiara (RO) en 1995 et celui de Carajás.
Lula arriva au pouvoir en 2003, lorsqu’une partie des latifundistes s’étaient modernisés et préférèrent faire alliance avec le gouvernement, malgré le soutien qu’ils avaient apporté à la candidature de José Serra. En échange, ils reçurent le ministère de l’Agriculture. Par cette voie plus pernicieuse et idéologique, ils réussirent une démonstration de force et envoyèrent des signes afin de démontrer « qui commandait dans les faits à l’intérieur et sur les terres », plus encore après que Lula avait enfilé la casquette du MST.
Dans ce contexte eurent lieu deux autres massacres, aux accents pervers. En 2004, à peu de kilomètres de Planalto Central, dans la municipalité de Unaí (MG), une bande de latifundistes fit assassiner deux fonctionnaires du ministère du Travail chargés du contrôle et le conducteur du véhicule, alors que ces derniers se dirigeaient vers une hacienda dans le cadre d’une inspection relative au travail esclave. Un des deux propriétaires fut élu maire de la ville pour le PSDB et à l’heure d’aujourd’hui, le crime est toujours impuni. L’Etat n’a pas eu le courage de défendre ses serviteurs.
Le second massacre se déroula en novembre 2005, dans la municipalité de Felisburgo (MG) lorsque le propriétaire illégal Adriano Chafik décida de venir à bout d’un campement du MST. Chafik se rendit avec ses hommes armés à l’hacienda et dirigea personnellement les opérations un samedi après-midi. Durant l’attaque, ils tirèrent directement sur les familles et incendièrent les baraquements ainsi que l’école. Au total, cinq paysans furent assassinés et il y eut des dizaines de blessés. Après huit jours d’attente, le tribunal judiciaire de Minas Gerais fixa le jugement du propriétaire au 15 mai, à Bello Horizonte. Espérons que justice soit faite.
Les grands propriétaires pernicieux – qui heureusement ne sont pas la majorité – agissent ainsi parce qu’ils ont la certitude absolue de leur impunité, grâce au pacte qui les unit aux pouvoirs locaux et au pouvoir judiciaire. Ces dernières années, leur attention s’est focalisée sur le pouvoir législatif, où ils soutiennent la dénommée « Bancada Ruralista » par le biais de laquelle ils cherchent à modifier les lois et à se protéger de la législation en vigueur.
Ils ont déjà apporté des changements au Code Forestier et empêchent l’application de la loi qui oblige l’expropriation des terres des grands propriétaires recourant au travail esclave. Chaque année, la Police Fédérale libère en moyenne deux mille êtres humains du travail esclave. Toutefois, les latifundistes poursuivent ces pratiques, soutenus par l’impunité du pouvoir judiciaire.
Ils eurent le culot d’élaborer des projets de loi contraires à la Constitution afin d’empêcher la démarcation des terres indigènes déjà reconnues, de légaliser la location des aires délimitées et de permettre l’exploitation des minéraux existants. Ils ont également présenté des projets visant à entraver l’attribution de titres de propriété des terres des communautés quilombolas.
Une série de projets ont été présentés pour libéraliser l’utilisation de pesticides interdits dans la majorité des pays, répertoriés par la communauté scientifique parmi les substances cancérigènes, et pour empêcher que les consommateurs ne puissent distinguer les produits transgéniques. Pourquoi ne veulent-ils pas étiqueter les produits OGM s’ils garantissent qu’ils sont totalement sûrs pour la santé des personnes ?
L’avidité du gain des grands propriétaires n’a pas de limites. Dans les campagnes, ils ont recours plus fréquemment à la violence physique et aux assassinats. Toutefois, cette avidité a des conséquences directes sur toute la population, dans la mesure où elle permet l’appropriation des terres publiques, l’expulsion des paysans des zones rurales qui vont gonfler les favelas et l’utilisation indiscriminée des pesticides qui finissent dans votre estomac et sont cancérigènes. Malheureusement, tout cela est couvert par des médias serviles et manipulant l’opinion publique.

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João Pedro Stedile est membre de la Coordination Nationale du MST et de la Via Campesina Brésil.

Traduction : Milena Merlino

Source : http://www.alainet.org/active/63734

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