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Pour une réforme agraire populaire : les mesures d’urgence demandées par le Mouvement des sans Terre

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Le collectif, une autre idée de la révolution, par Florence Poznanski
L'art et l'alimentation au service de la révolution © Brooke PorterL’art et l’alimentation au service de la révolution © Brooke Porter

En ces temps de crise sanitaire et économique la place de l’humain prend une autre dimension. « Solidarité », « résilience », « prendre soin de l’autre », ces mots sont aujourd’hui sur toutes les bouches, y compris celles qui, il y a encore quelques mois, priorisaient davantage l’épanouissement individuel à celui du collectif. Si la perte des êtres chers et la préoccupation pour sa propre survie sont des traumatismes assez forts pour nous faire prendre conscience de l’indéfectible lien qui nous relie à la collectivité, cette solidarité ne peut être invoquée seulement par temps de crise, comme d’aucuns en appellent à l’intervention de l’État pour répondre aux problèmes économiques.

Cette crise doit nous interroger profondément sur notre relation au collectif, tant au niveau des politiques publiques et des services publics, qu’à l’échelle des organisations associatives ou locales auxquelles on peut appartenir. Penser le collectif, ce n’est pas mettre ensemble des individus, mais s’intéresser à ce qui les rassemble jusqu’à ce que le commun les transcende. En ce sens, les organisations (y compris celles qui mettent en avant l’humain et la collectivité) ont aussi un travail à mener pour sortir d’une approche parfois uniquement rationnelle et programmatique et la traduire dans la pratique quotidienne.

De retour d’un séjour de deux semaines avec les femmes militantes du mouvement des travailleurs et travailleuses sans terre (MST) au Brésil, je souhaite m’attarder ici sur la description de son organisation, comme une source d’inspiration mondiale à tous ceux qui s’intéressent aux moyens de transformer radicalement la société.

Le MST n’est pas le seul exemple. L’Amérique latine est pour nous ce terreau vivant d’expériences révolutionnaires comme celle des communes au Venezuela, des « caracoles » du mouvement zapatiste du Chiapas au Mexique, entre autres. Mondialement connu pour sa lutte pour la réforme agraire populaire comme fondement d’un projet politique révolutionnaire d’inspiration socialiste au Brésil, le MST est certainement le mouvement social le plus puissant d’Amérique latine, si ce n’est l’un des plus importants au monde. Il puise sa puissance dans une organisation exigeante et généreuse qui applique à tous ses niveaux la primauté du collectif et la valorisation du vivre ensemble.

Florence Poznanski, activiste, secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise, Belo Horizonte – Brésil
@FLORENCEPOZ FLOR.POZNANSKI

Réforme agraire, graine de révolution

Le MST est un mouvement de paysans brésiliens qui luttent pour une réforme agraire populaire, c’est à dire l’abolition de la propriété privée et du latifundium et une distribution égalitaire de la terre comme source essentielle de travail et subsistance. Il naît des luttes paysannes de résistance au sortir de la dictature militaire à la fin des années 70 et s’inspire d’un vaste héritage de luttes, révoltes et victoires populaires éliminées de l’histoire officielle nationale comme la résistance des esclaves, des peuples autochtones ou les luttes des travailleurs pauvres contre l’oppression depuis l’époque de la colonisation. Son activité principale porte sur la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de paysans pour l’occupation et l’organisation de campements de production agricole autonomes.

Dans son programme, la réforme agraire n’est pas qu’une politique publique à mettre en œuvre, mais la base d’un autre projet de civilisation qui inverse les rapports de pouvoir. Car posséder la terre, le territoire, c’est décider qui en sont exclus et qui pourront en tirer profit. Le MST se base ainsi sur une historiographie de l’organisation politique de la terre au fil des différents régimes latino-américains (colonies, républiques bourgeoises, dictatures) pour étudier les soulèvements populaires d’indépendance que le continent à connu.

Il construit son action nationale mais aussi internationale, dans le but de renforcer ces soulèvements populaires qu’ils soient locaux comme l’occupation d’une parcelle de terre improductive ou à l’échelle d’un pays comme substrat d’une révolution citoyenne. L’organisation collective est donc consubstantielle de son fondement, non seulement dans les principes du projet de société qu’il construit, mais aussi au quotidien. Pour cela, il se base sur une méthodologie d’organisation qui met en avant la formation militante, l’auto-organisation et une culture collective du vivre ensemble.

L’individu et le collectif

Il est facile de penser que le collectif serait l’annulation de l’individu. Il est plus approprié de dire que le collectif est l’annulation des privilèges qui éloignent l’individu du collectif. C’est à partir du moment où l’individu cesse de considérer l’annulation de ses privilèges comme une privation, mais bien comme une satisfaction de les mettre en commun, que sa place dans le collectif prend sens. Sa force ne dépend alors plus simplement de lui, mais de la richesse du collectif auquel il a lui-même contribué.

Parce que le mouvement doit en permanence compter sur son auto-organisation pour bâtir et entretenir ses équipements, organiser ses campements, cultiver et distribuer sa production agricole, élaborer et diffuser ses idées ou encore assurer sa sécurité, le partage des tâches au sein du collectif est essentiel. Elle commence à l’échelle des campements qui rassemblent chacun plusieurs centaines de personnes issues des classes les plus populaires : travailleurs agricoles exploités ou habitants des périphéries urbaines sans logement. On s’y organise pour construire son logement, planter la terre, éduquer les enfants, soigner les malades et défendre le campement sous la menace permanente des milices, de la police ou de la justice. Bien souvent l’État n’y assure qu’un rôle répressif ou n’offre que des services publics précaires. Le mouvement doit donc gérer l’organisation de A à Z d’une collectivité qui repose sur la participation de chacun et une exigeante discipline. Bien-sûr, cette organisation ne se fait pas sans difficultés ni conflits. Là encore c’est au niveau du collectif que les solutions sont à trouver, via de nombreuses réunions de délibération collective.

Une autre vision du pouvoir

Le campement du MST "Marielle Franco" près de São Paulo © Brooke PorterLe campement du MST « Marielle Franco » près de São Paulo © Brooke Porter

La construction de cette collectivité vise en fin de compte la naissance d’une autre forme de pouvoir : le pouvoir populaire. Un pouvoir qui ne s’exercerait plus par la domination mais par la mise en commun et le partage. Et l’organisation de ces collectifs en quête de toujours plus d’autonomie visent à substituer toute forme de domination ou de dépendance par une action collective : la domination du travail et la dépendance alimentaire par l’organisation de coopératives agricoles, la domination idéologique et culturelle par l’organisation militante.

Attaché à rétablir l’héritage de siècles de résistances populaires, il est une autre dépendance contemporaine à laquelle le MST s’applique aussi à s’émanciper c’est celle de notre propre corps. Cela commence par la promotion d’une vie saine sans pesticides avec sa capacité à alimenter le plus grand nombre avec ses produits issus de l’agroécologie1. Mais la réflexion va encore plus loin.

Alors que la société mondiale ne sait plus se soigner sans les médicaments de l’industrie pharmaceutique et que dans la plupart des pays comme le Brésil, la santé n’est pas un droit mais une marchandise, le MST s’applique à réintégrer la médecine populaire traditionnelle par les plantes. La formation des professionnels de santé est basée sur une réappropriation holistique du rapport aux besoins et aux carences du corps pour sortir du réflexe symptômes/médicaments. Sans pour autant rejeter la médecine conventionnelle, le travail des médecins populaires vise à assurer une santé de base gratuite au plus grand nombre et contribue aussi à montrer que la transformation des rapports sociaux passe aussi par la prise en compte collective de la santé corporelle et mentale des individus, dimension négligée par la plupart des organisations.

La place de l’humain et du symbolique

l'art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porterl’art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porter

Tout cette organisation prend du temps et ne s’achève en fin de compte jamais. Un temps qui n’est pas gâché, qui n’a pas moins d’importance que les moments de réflexion politique ou de débats de conjoncture, puisque c’est le temps de la réalisation, le temps de la vie. Cette approche est un des fondements de l’éducation populaire qui inscrit la formation du sujet politique dans sa propre trajectoire de vie. Organiser le mouvement est donc un accomplissement politique en soi. Et puisqu’il fait partie de la vie il est aussi traversé d’émotion, d’identification. Il ne faut pas penser uniquement à distribuer des tâches, mais aussi accorder le temps nécessaire dans l’organisation à l’expérience du vivre ensemble.

La célébration ne se vit pas en creux de l’action politique, dans les moments de temps libre informels, mais comme un des moteurs qui donnent du sens à cette action. Dans les activités du MST on chante, on joue de la musique, on récite des poésies, on peint et on crée. On y raconte les peurs des paysans, les tranche de vie des femmes face aux violences domestiques, on se rappelle des victoires des luttes passées, on rend hommage à ceux et celles qui sont tombées. L’art et la culture populaire prennent ainsi tout leur sens politique pour faire des valeurs scandées dans les mots d’ordre du mouvement quelque chose d’intime, de réel. Cet attachement s’insère aussi dans une stratégie politique claire de contrer la domination idéologique véhiculée par l’industrie culturelle de masse au service du capitalisme.

En alliant actions de transformations concrètes, valorisation de la vie par l’alimentation saine et le collectif et en utilisant l’art et la culture comme vecteur de mobilisation militante, l’action politique du MST a quelque chose de profondément transformateur ou bien tout simplement révolutionnaire.

Notes :

1Le MST est aujourd’hui le premier producteur de riz biologique au Brésil.

Source : https://blogs.mediapart.fr/florence-poznanski/blog/020520/le-collectif-une-autre-idee-de-la-revolution

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Miguel Stedile : « au Brésil, notre défaite n’est pas électorale mais idéologique »

 

Miguel Stedile, membre de la coordination nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).

Entretien. Miguel Stedile est membre de la coordination nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Six mois après l’investiture de Jair Bolsonaro, il relie les politiques du président d’extrême droite au projet du capital financier, et s’explique sur le recul de la gauche dans son pays.

Depuis le 1er janvier, Jair Bolsonaro préside le Brésil. Quel bilan dressez-vous de ces six premiers mois de mandat de l’extrême droite ?

Miguel Stedile La France et l’Europe ne doivent pas regarder Jair Bolsonaro comme s’il n’était qu’un président d’extrême droite. Il représente un projet du capitalisme financier. Ce projet était déjà en cours au Brésil. En ce sens, il n’y a pas de rupture. Le premier noyau dur à parier sur la candidature de Jair Bolsonaro est le capital financiarisé. Celui-là même qui est responsable de la crise globale. Depuis 2008, il a travaillé autour de deux idées centrales. La première est le recul des droits du travail. D’ailleurs, l’une des premières réformes de Jair Bolsonaro concerne les retraites, alors même que son prédécesseur, Michel Temer, n’était pas parvenu à la réaliser. C’est pourquoi je parle de gouvernement de continuité. Le premier noyau dur ultralibéral du gouvernement est incarné par Paulo Guedes, ministre de l’Économie. L’autre noyau important est constitué de juristes. Il a émergé avec l’opération « Lava Jato » (contre la corruption, notamment au sein de la compagnie pétrolière nationale Petrobras – NDLR). Les mesures dont a besoin le capital financier sont très impopulaires. Il est donc nécessaire de changer également l’État pour justifier la répression. C’est là qu’intervient Jair Bolsonaro. Le capital financier n’a que faire qu’il soit raciste, misogyne, homophobe. L’important pour lui est que le président réalise les réformes qu’il souhaite. La présence du juge Sergio Moro dans le gouvernement vise à changer la structure de l’État afin que celui-ci s’adapte à ce virage autoritaire. Les traits de l’extrême droite se retrouvent dans les discours, dans l’incitation à la violence, à l’intolérance. Mais l’action formelle et programmatique du gouvernement est commandée par le système financier.

Vous dites que Jair Bolsonaro doit transformer l’État pour imposer le modèle économique du capital financiarisé. Comment cela se traduit-il dans le domaine des libertés ?

Miguel Stedile Le gouvernement a présenté deux projets. Le premier voulu par le noyau financier est la réforme des retraites. L’autre, avancé par le ministre de la Justice, Sergio Moro, est l’« anti-crime ». Dans les faits, il s’agit de changer une partie des structures politiques de l’État brésilien. Par exemple, si un policier commet un assassinat et s’il le justifie par la légitime défense, il n’y aura pas de procès. Ce projet « anti-crime » confère aux policiers et aux soldats une impunité. Il en va de même pour les grands propriétaires, ainsi que les milices qui sévissent à Rio de Janeiro. Le risque de violence réside dans l’attitude d’inaction des autorités, qui laisse libre cours à la répression para-étatique.

Vous évoquiez la réforme des retraites. Quelles en sont les grandes lignes ?

Miguel Stedile Paulo Guedes a donné toute sa légitimité à la candidature de Jair Bolsonaro, dont les marchés financiers se méfiaient au départ. Il est parvenu à faire voter la réforme des retraites alors qu’elle contient des mesures impopulaires. Même la droite avait des doutes quant à la prise de risques qu’elle représentait. Désormais, les retraites ne reposeront plus sur un système par répartition mais par capitalisation. Seul le travailleur déposera des biens à la banque. Selon les économistes proches des syndicats, avec ce nouveau système, il ne recevra plus que 40 % des pensions actuelles. L’argent déposé dans les banques sera totalement disponible pour le système financier. Ce nouveau système implique que les travailleurs assument tous les risques et les banques disposent de tous les avantages.

La réforme agraire a toujours été une question épineuse au Brésil, y compris lorsque la gauche était au pouvoir. Où en est-on aujourd’hui ?

Miguel Stedile Sous le gouvernement de Dilma Rousseff, il y avait eu une grande réduction du processus de désappropriation et des « assentamentos » (zones créées par le gouvernement pour y installer des familles sans terre – NDLR). En revanche, les politiques d’infrastructures pour les paysans qui avaient conquis leurs terres, ainsi que les programmes de distribution et de commercialisation des aliments, se sont poursuivies. Sous le gouvernement de Michel Temer, il y a eu une réduction du rythme. Aujourd’hui, il n’existe plus que 20 processus de désappropriation. Ces 20 dossiers sont bloqués dans les méandres de la bureaucratie de l’État. Dans le même temps, 100 000 familles campent et luttent pour avoir une terre. Sous le mandat de Fernando Henrique Cardoso, il y avait deux ministères : celui de l’Agriculture pour l’agrobusiness et celui du Développement rural agraire pour l’agriculture paysanne, familiale. Sous le gouvernement de Michel Temer, le ministère du Développement rural a été fermé, et les secrétariats transférés vers le ministère du Développement social. Jair Bolsonaro l’a désormais totalement incorporé au ministère de l’Agrobusiness. L’agriculture paysanne est désormais subordonnée aux intérêts de l’agrobusiness et privée de ses fonctions politiques. De la même manière, les terres quilombos et indigènes se retrouvent fragilisées face à l’avancée de l’agro-négoce, qui veut faire main basse sur ces territoires pour amplifier leurs productions et leurs exportations.

Quelles menaces pèsent sur le territoire de l’Amazonie et quel pourrait être l’impact environnemental de l’implantation de multinationales ?

Miguel Stedile Le gouvernement désire changer la loi brésilienne afin que les terres frontalières où se trouvent les forces armées et qui peuvent être occupées par des Brésiliens puissent être achetées par des étrangers. Aujourd’hui, la plus grande menace pour les Indigènes et l’Amazonie, et je ne parle pas seulement de la forêt et de l’écosystème mais de la région en général, n’est pas tant l’agro-négoce que l’exploitation des minerais. Jair Bolsonaro a parlé clairement de la réserve Raposa Serra do Sol. Aujourd’hui, elle n’autorise que les activités indigènes, mais elle pourrait devenir un espace d’extraction minière.

Durant la campagne électorale, Jair Bolsonaro a menacé tous ses opposants, et singulièrement la gauche et le Mouvement des travailleurs sans terre, allant même jusqu’à vous qualifier de « terroristes ». Ces intimidations ont-elles fait l’objet d’un passage à l’acte ?

Miguel Stedile Jair Bolsonaro ne va pas promouvoir une loi qui officialise la persécution. Mais le grand propriétaire terrien qui entend ses propos comprend qu’il a le feu vert, et peut passer à l’acte. Il y a eu des attaques contre des campements. Fin 2018, avant même l’investiture de Bolsonaro, le pouvoir judiciaire a présenté des requêtes afin de déloger des camps de travailleurs sans terre. Le pouvoir judiciaire se sent porté par la vague conservatrice, la société appuie ce mouvement puisqu’elle a élu Bolsonaro. Finalement, chacun se dit qu’il n’y aura pas de représailles en cas de recours à la violence.

Comment comprendre le poids surdimensionné de l’agro-négoce dans l’économie brésilienne et, dans le même temps, l’absence de souveraineté alimentaire ?

Miguel Stedile Le médecin et géographe brésilien Josué de Castro a été président de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO. Tout au long de sa vie, il a répété que la faim n’était pas liée à un phénomène géographique, mais à un problème social, politique et économique, dont les origines étaient la concentration terrienne. En la matière, le Brésil est le deuxième pays au monde le plus inégalitaire puisque 1 % des propriétaires détiennent 40 % des terres. L’agro-négoce, c’est le système financier des champs. Le MST ne lutte pas seulement en faveur de la réforme agraire, mais également pour la distribution des terres. Le concept de réforme agraire et populaire est de produire des aliments sains pour alimenter la population brésilienne. Ce que l’agro-négoce ne peut faire puisqu’il ne produit pas d’aliments : le soja et le maïs servent aux combustibles, et l’eucalyptus au papier. Ses productions, qui utilisent de grandes quantités de pesticides, vont à l’exportation. C’est là que résident les origines de la faim au Brésil : il y a beaucoup de terres cultivables mais ce ne sont pas des aliments qui y poussent. Produire des aliments sains pour la population relève d’un acte politique car le risque d’une crise de la faim structurelle est réel.

Considérez-vous que les organisations sociales, les partis de gauche sont suffisamment mobilisés face aux politiques du président Bolsonaro ?

Miguel Stedile Nous devons faire une autocritique. Notre défaite n’est pas électorale, mais idéologique. Jair Bolsonaro est soutenu par le système financier et l’agro-négoce, mais il a été élu par la population, y compris par les plus pauvres. Si nous parlons exclusivement de défaite électorale, alors il suffirait de gagner d’autres élections, et le problème serait résolu ? Pourquoi les travailleurs ont voté pour un projet qui disait très clairement qu’il allait leur retirer leurs droits au nom de la relance de l’économie ? Si les travailleurs ont donné leur consentement, c’est parce que nous sommes en échec idéologique. Le camp populaire et progressiste a cessé de dialoguer et de travailler avec la population. Beaucoup des droits conquis durant les gouvernements de Lula ont été perçus par la population comme un geste personnel du président à leur endroit. Cela a été perçu comme un mérite et non comme un choix de politiques publiques résultant des pressions des mouvements sociaux. Nous avons failli. Il nous faut reprendre le travail de base, retourner dans les périphéries pour écouter. Il faut également renouer avec l’organisation populaire. La gauche brésilienne mais également mondiale n’a pas encore trouvé les formes d’expression politiques et organisationnelles des nouvelles manifestations du monde du travail. Plus précisément, nous ne savons pas comment organiser les plus précarisés par les transformations du monde du travail. Nous devons expérimenter pour intégrer les plus précarisés dans le mouvement. Enfin, la formation politique est très importante. Il faut débattre de la réalité : la crise du capitalisme n’est pas conjoncturelle mais structurelle, je dirais même existentielle. Le nazisme et le fascisme ont été des réponses du système financier. L’issue pour le capitalisme a été le New Deal, ou encore l’état de bien-être social. Nous, nous avancions des solutions dans le socialisme. Aujourd’hui, le capitalisme n’a aucun intérêt à construire un nouveau New Deal. C’est pourquoi je parle de crise existentielle, car il se renie. Une élection ne résoudra pas la crise. Il faut expliquer et expliquer encore. Le fascisme, ce sont des réponses simples à des questions complexes. C’est pourquoi nombre de personnes y adhèrent. Nous, nous ne voulons manipuler personne. Nous devons travailler à l’élévation du niveau des consciences.



Un film sur le travail des Sans Terre au Vénézuéla: « Semences, rêves et contradictions » (Terra TV, 2019)

Il y a 13 ans un accord entre le Gouvernement de Hugo Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre a permis la présence permanente au Venezuela de formatrices et formateurs brésiliens. Au service de la souveraineté alimentaire mais aussi comme porteurs d’une expérience latino-américaine des plus importantes en matière de formation intégrale pour les mouvements sociaux. Ce travail qui ne s’est jamais arrêté malgré de nombreux obstacles bureaucratiques.

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La compagne Yirley Rodriguez (photo), formatrice et militante féministe explique: “L’école de formation internationaliste “A Namuna signifie “la semaille”. C’est le mot Warao pour dire “semaille”. Nous avons choisi un nom indigène en tant qu’école décoloniale. L’école est le produit d’expériences de formation que nous nos mouvements sociaux mènent depuis de nombreuses années, appuyés par le Mouvement des Sans Terre du Brésil et sa Brigade Internationaliste Apolonio de Carvalho qui s’est établie au Venezuela il y a 13 ans, ainsi des organisations comme “Femmes pour la vie”, “Front Culturel de Gauche”, Editions “La tranchée”, etc… Plusieurs organisations ont envoyé des compagnes et compagnons étudier dans l’école “Florestan Fernandes” au Brésil, l’école des Sans Terre, et y ont appris une méthode de formation intégrale, basée sur l’éducation populaire. Nos cours couvrent des aspects tels que l’organisation révolutionnaire, le féminisme populaire, la formation de formateurs(trices). L’école “A Namuna” part du contexte populaire, pour ne pas séparer l’étudiant de la réalité populaire dans laquelle il ou elle est immergé(e), pour qu’il la vive, collectivement, pour mettre à jour les contradictions, les problématiser et pour que les étudiants cherchent à les dépasser à travers l’organisation sociale. Notamment en construisant des relations de production socialistes et féministes. C’est pourquoi nous avons organisé cet atelier dans le cadre d’une prise de terres de commune El Maizal.”

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Une des méthodes apportées par le Mouvement des Sans Terre est la « Ciranda ». Une équipe formée par les étudiant(e)s s’occupe des enfants pour que les femmes qui sont mères puissent participer pleinement au cours. A ce moment prendre soin des enfants des travailleuses devient les enfants devient une responsabilité de tout le collectif du cours.

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C’est sur l’espace d’une prise de terre par la Commune El Maizal que le cours est organisé, pour mieux marier étude théorique et apprentissage pratique, pour maintenir le concept d’une pédagogie liant l’étude à l’immersion dans la réalité populaire. Chaque sous-groupe étudiant apprend avec les habitants un aspect différent du travail, traire les vaches, réparer des outils, cuisiner, cultiver les parcelles… C’est une autre caractéristique de la pédagogie politique des Sans Terre.

Réalisation: Yarumi Gonzalez.

Montage: Miguel Escalona.

Production: Terra TV.

République Bolivarienne du Venezuela 2019.

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Caquetios, une école en construction

Grâce aux accords de coopération signés entre le président Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre, une équipe du Brésil participe depuis 11 ans aux efforts de production et de formation agricoles de la révolution bolivarienne, au Venezuela. L’école de Caquetios, dans l’état de Lara (ouest du pays), en est un exemple. Ces anciens haras entourés de champs de canne à sucre, expropriés à la bourgeoisie locale par Hugo Chavez, sont aujourd’hui un espace consacré à la formation intégrale des mouvements sociaux, notamment en agroécologie, et à la production et distribution de semences autochtones.

Ce court-métrage est le fruit de cinq jours d’atelier de réalisation documentaire donné par l’École Populaire et Latino-américaine de Cinéma, Télévision et Théâtre (EPLACITE) à une vingtaine de membres de collectifs sociaux, à Caquetios, du 6 au 11 août 2017, avec l’appui du Mouvement des Sans Terre (MST) et de France-Amérique Latine Bordeaux-Gironde (FAL 33).

 

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Du Brésil au Venezuela, les mouvements paysans disent « basta ! » à la droite putschiste

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C’est au cri de « que les corrompus nous rendent nos terres !» que des centaines de militant(e)s du Mouvement des Sans Terre ont occupé ce 25 juillet du nord au sud du Brésil de grandes propriétés appartenant à des ministres, des sénateurs, et directement ou à travers des prête-noms, au président de facto Michel Temer. A Rio de Janeiro les travailleurs sans terre ont occupé l’immense hacienda improductive de Ricardo Texeira, ex-président de la puissante fédération brésilienne de football, impliqué comme Temer dans de nombreuses affaires de corruption. L’hacienda Santa Rosa, nous explique Joaquin Pineiro, des Sans Terre, sert de plate-forme au blanchissement de capitaux, et « toutes ces terres de corrompus doivent être rendues à la reforme agraire ». La justice brésilienne a ordonné l’expulsion immédiate, ce 25 juillet, des occupants qui ont décidé de maintenir leur campement.

Temer – un ultra-libéral qui s’accroche au pouvoir depuis le coup d’État mené par la droite parlementaire contre la présidente élue Dilma Roussef – est en train de vendre aux multinationales les terres de l’Amazonie appartenant aux communautés indigènes et aux quilombolas (communautés afro-descendantes). Dans le reste du Brésil, il met aux enchères les terres destinées à la réforme agraire (manière d’acheter le vote des secteurs de l’agrobusiness au sein du congrès et de freiner sa possible destitution pour corruption). Allié privilégié des multinationales, le président de facto multiplie la répression contre les militants sociaux. Les travailleurs sans terre dénoncent l’impunité qui entoure les assassinats et autres exactions, réclament la démission du putschiste, la tenue immédiate d’élections libres et la reprise de la réforme agraire.

Au Venezuela, les amis de Temer rêvent, impatients, de mener la même politique sauvage de privatisation de l’économie, de restitution des terres aux grands propriétaires  et de répression des mouvements sociaux. Leur violence raciste et de classe (que les médias internationaux déguisent en « révolte populaire » comme ils l’ont fait pour les mobilisations de la droite contre Dilma Roussef) n’est que la répétition générale de ce qu’ils feraient une fois au pouvoir. Depuis le coup d’État contre le président Chavez en 2002 jusqu’à aujourd’hui, en passant par les 43 morts des « guarimbas » de 2014, cette droite est responsable de la violence et de la majorité des morts. Des mouvements paysans ont répondu en occupant des terres improductives appartenant à ces partisans du coup d’État.

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La grande différence avec le Brésil est qu’ici, le gouvernement bolivarien, malgré ses inerties conservatrices, résiste aux violences de la droite et continue à donner des réponses positives aux revendications des paysan(ne)s : ce lundi ; après des années de luttes amères, d’expulsions à l’aube, l’Institut National des Terres leur a enfin remis 5.000 hectares du grand domaine Las Mercedes (État de Barinas) et leur a octroyé le titre de propriété. Comme l’explique le journaliste Marco Teruggi : « Il faut poursuivre le mouvement avec d’autres récupérations stratégiques comme les grandes propriétés de Cajarito El Diamante, La Primavera, El Otoño, celles du Sud du Lac de Maracaibo, une longue liste de terres encore aux mains de ceux qui, historiquement, ont vécu de la pauvreté des paysans et financent aujourd’hui les violences de l’extrême droite putschiste. Manière de donner un double signal : en direction des grands propriétaires pour les décourager de continuer à financer la déstabilisation, et en direction des mouvements sociaux, pour montrer qu’on peut renforcer une dynamique positive depuis l’État en faveur de ceux qui veulent semer la terre. » (1)

Thierry Deronne, Venezuela, 26 juillet 2017

Note

  1. Lire, de Marco Teruggi : Campesinos rescatan 5 mil hectáreas de un terrateniente financista de la violencia, http://www.hastaelnocau.wordpress.com/2017/07/25/campesinos-rescatan-5-mil-hectareas-de-un-terrateniente-financista-de-la-violencia

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Mouvement des Sans Terre : l’appel de Fortaleza


unnamedInspirés par les luttes paysannes du Ceara, nous, coordinatrices et coordinateurs nationaux du Mouvement des Travailleurs Sans Terre, nous sommes réunis à Fortaleza, revendiquant la mémoire et l’exemple de Fidel Castro, du centenaire de la Révolution russe et du cinquantenaire du martyr de Che Guevara, pour étudier la conjoncture politique et agraire de notre pays et projeter les défis et les tâches pour la prochaine période.
Il y a une crise structurelle du capitalisme, accentuée depuis 2008, expression des crises économique, politique, social et environnementale, représentée par des propositions autoritaires et fascistes, qui menacent les droits humains des travailleurs et les biens de la nature dans le monde entier. Dans ce contexte, pour que le Capital continue à s’approprier les ressources économiques de la société, il est nécessaire de supprimer les droits historiques de la classe travailleuse afin que ces ressources soient à la disposition exclusive du marché financier. Le Coup d?État et les actes institutionnels du gouvernement illégitime du Brésil, comme la réforme de la sécurité sociale, la réforme du travail, le PEC55 et l’abandon au privé des ressources pétrolières du Pré-Sal, sont des exemples de ce mouvement. Face à ce scénario :

1. Nous réaffirmons la nécessité de réformes structurelles et d’une Réforme Agraire Populaire, qui garantisse la souveraineté alimentaire, la souveraineté nationale contre la vente des terres au capital étranger et la défense des biens de la nature, l’eau (particulièrement l’aquifère Guarani), la terre, les minerais, le pétrole et la biodiversité. Nous sommes contre, et nous combattrons, la Mesure Provisoire 759 de recul de la Réforme Agraire, qui privatise les terres destinées à la Réforme Agraire, en les transformant en marchandises, qui légalise les usurpateurs de terres publiques et exclut du processus d’assentamentos les travailleurs et travailleuses occupant les terres et vivant dans des campements.

2. Nous lutterons contre la privatisation des terres, déguisée en attribution de titre de propriété et qui veut se débarrasser des « assentados », comme mécanisme d’exclusion des politiques de réforme agraire. Nous exigeons l’enregistrement des lots et des assentamentos sous la forme de « Concession de droit réel d’usage de la terre » -CDRU et l’interdiction de vente des terres des assentamentos.

3. Nous nous engageons à lutter avec l’ensemble des travailleurs et travailleuses contre la réforme de la sécurité sociale, la réforme du travail et les autres mesures qui retirent des droits historiquement conquis. Nous nous engageons à la construction du Front Brésil Populaire et à son enracinement dans les communes.

4. Nous sommes solidaires de toutes les formes de luttes et de résistance contre le Coup d’Etat et nous appuierons tous les secteurs de notre peuple qui se mobilisent par la lutte, depuis les peuples indigènes et quillombolas jusqu’aux étudiants dans les écoles occupées pour la défense de l’enseignement public. Ainsi, nous nous joindrons aux journées de luttes du 8 au 15 mars, convoquées par la Confédération nationale des travailleurs de l’Education (CNTE).

5. Nous dénonçons la criminalisation de la lutte sociale qui utilise des arguments juridiques pour poursuivre et condamner la lutte sociale sans preuve et au service des intérêts du capital, résultat de l’orgueil, de l’arrogance et de l’autoritarisme d’un Pouvoir Judiciaire plein de privilèges, mais sans aucun engagement social. Nous exigeons la libération de tous les travailleurs emprisonnés et persécutés.

6. Nous appelons toutes les femmes du monde rural et des zones urbaines à une grande journée de lutte le 8 mars. Les travailleuses sont les plus atteintes par la réforme de la sécurité sociale, ce qui augmente les inégalités de genre dans une société machiste et patriarcale.

7. Nous combattrons la vente de terres au capital étranger, le recul de la réforme agraire et le modèle d’agrobusiness lors des journées de lutte et les occupations au mois d’avril. De plus, nous proposons la réalisation d’une grande Marche Nationale à Brasilia, au courant du second trimestre, pour dénoncer les mesures du gouvernement « golpiste ».

8. Nous défendons la convocation d’élections générales au Congrès et à la Présidence de la République, pour que soit rendu au peuple le droit de choisir ses représentants.

9. Nous travaillerons avec le Front Brésil Populaire et les autres organisations de travailleurs et travailleuses pour construire un Programme d’Urgence qui combatte le chômage, l’inégalité de revenus et la perte de droits. Nous appelons les travailleurs et les travailleuses pour que, dans la prochaine période, nous puissions construire de grandes mobilisations de la classe travailleuse autour du droit à la Terre, au Logement et au Travail.

10. Nous affirmons notre engagement de solidarité avec la lutte de tous les peuples du monde, face à l’offensive du capital, à l’autoritarisme des gouvernements, à la prépondérance de l’empire des Etats Unis, aux guerres insensées, pour la défense des droits de tous les peuples pour la justice et l’égalité.

Nous nous engageons comme militants, hommes, femmes et jeunes à assumer nos tâches pour la défense du peuple brésilien.

Lutter ! Construire la Réforme Agraire Populaire !

Fortaleza, 27 janvier 2017c2eghvuxaaejg3c



« La terre est à tous », quand des paysans vénézuéliens prennent la caméra

Loin des tumultes qui agitent les grandes villes, le Venezuela poursuit de manière moins visible ses mutations au fil des réformes menées depuis le début des années 2000. L’une d’entre elles, la « loi des terres », votée en 2010, a notamment permis de rendre à la propriété collective des terres inexploitées possédées jusqu’ici par de grands propriétaires.

Ainsi de Caquetios, dans l’État de Lara, à 400 km à l’ouest de Caracas, la capitale du Venezuela. C’est dans cette ancienne hacienda cédée par le gouvernement au Mouvement des sans-terre du Brésil, que des militants de l’association France Amérique latine Bordeaux-Gironde se sont retrouvés avec des travailleurs agricoles locaux pour animer un atelier d’agroécologie. Avec eux, des membres de l’École latino-américaine et populaire de cinéma, théâtre et télévision (Eplacite) et les cinéastes-documentaristes Luis et Andrés Rodriguez [1].

Après une semaine de travail d’éducation populaire, ils nous livrent ce court documentaire, La terre est à tous, filmé par les paysans eux-mêmes, qui décrit le quotidien du travail de terre dans ces zones rurales.

(cliquez en bas à droite de l’image pour activer les sous-titres français)

Un documentaire qui prend tout son sens quand on sait que ces terres n’appartenaient pas jusqu’ici aux paysans qui la travaillent, et qui est diffusé depuis le début du mois sur la plateforme télé participative AlbaTV.

Mais qui dit documentaire, dit matériel vidéo et formation. C’est le rôle de l’Eplacite, qui mène depuis plusieurs années des ateliers audiovisuels participatifs à travers tout le pays et même dans d’autres pays d’Amérique latine, par exemple au Nicaragua. Aujourd’hui, cette école pas comme les autres appellent à souscription pour financer ses activités et parrainer des cinéastes en herbe. Si vous êtes intéressés, rendez-vous jusqu’à mi-octobre sur la plateforme KisskissBankBank


- La Tierra Es De Todos, 12’08’’.

Source : Grégoire Souchay/Reporterre



« NOUS NE SERONS PLUS JAMAIS UNE TERRE SÈCHE ». LUTTES AGROÉCOLOGIQUES ET TRAVAIL DES SANS TERRE DU BRÉSIL DANS LA RÉVOLUTION BOLIVARIENNE

caquetios-38-1200x803Ils n’avaient laissé qu’une terre sèche. Une plaine raclée jusqu’au cœur. Un sol si fatigué de ne produire que de la canne à sucre empoisonnée. Là où on avait cessé de semer, on a continué à labourer, et après le passage et le repassage de la charrue, le vent est venu arracher la couche supérieure. Tout s’est érodé. Les pluies ont emporté ce qui restait. La terre s’est fendue partout et dans ses failles s’est engouffré l’oxygène qui a tué les micro-organismes. Quand elle se craquèle, elle est presque déjà stérile. Imaginez un corps ainsi maltraité, un corps de 2400 hectares. Une chose pareille doit faire mal.

Ces terres se trouvent dans les vallées du Turbio. Elles s’étendent depuis Titicare jusqu’à l’Hacienda Papelón, dans l’état de Lara. Les “propriétaires” antérieurs, un titre que ne méritent pas les grands propriétaires, c’était la famille Sigala. Le terrain était divisé en quatre. Durant de nombreuses années il n’y eut que la monoculture de la canne, à 70%. Après qu’on l’a importée, on n’a plus planté qu’une petite fraction. Ceux qui vécurent au bord de cette broussaille qui puait la féodalité, racontent que lors des dernières années de propriété, elle n’était plus qu’un haras pour que le seigneur des lieux y promène ses amies, pendant que la terre agonisait, devenant boue aride.

En 2004, Hugo Chavez donna l’ordre d’inspecter et de récupérer les terres en friche pour augmenter la production agricole et en finir avec le régime des latifundistes : “Là où il y a une terre abandonnée les mains de l’État doivent s’étendre à travers le ministère de l’Agriculture, pour donner la terre à qui la travaille et pas à qui l’abandonne”. Ainsi fut scellé, trois ans plus tard, le destin des Sigala.

“L’Institut National des Terres (INTI) est venu en 2007. Au moment de récupérer les terres, j’étais  métayer de la ferme à bétail” me raconte Duvalier Palma qui travaillait alors depuis seize ans pour les Sigala.

On ne trouva que quelques vaches, mais aussi des terres incultes et contaminées. Pendant la récolte de la canne à sucre, avant la coupe, on brûlait pour éliminer les résidus et les animaux nuisibles et faciliter la coupe manuelle. On carbonisait ainsi toute la flore et toute la faune. Crises d’asthmes, pneumonies, bronchites pour les enfants et les adultes. Les cendres s’envolaient jusqu’aux câbles de haute tension, ce qui provoquait des coupures, les villages voisins se retrouvant sans électricité. Contre la broussaille on employait des herbicides tels l’Ametrol (toxique, “à user avec modération” dit l’étiquette…) et le 2,4-D, composant chimique de l’ « agent orange » utilisé au Vietnam. Tout cela, drainé par l’eau hautement salubre de la zone, ajouté à l’usage indiscriminé de fertilisants de formule intégrale et à une surdose d’engrais à la longue cancérigène, a produit cette glaise malade.

En 2008 l’INTI est revenu avec son rapport final qui conclut que les terres étaient improductives et qu’il s’agissait de spéculation foncière en vue de construire des résidences secondaires au lieu de produire des aliments. Selon Palma, “peu leur importait que d’ici sorte 45 % de l’eau de Barquisimeto, capitale de l’état; et 100% de l’eau qui va de Palavecino, et ses municipalités”.caquetios-6caquetios-25

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La récupération des sols et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil

Sont d’abord arrivés l’Institut National des Terres (INTI), la Corporation Vénézuélienne d’Aliments (CVAL), épaulés par les militaires. Jour mémorable pour Palma: “Quand ils ont débarqué ils nous ont demandé où étaient les propriétaires mais comme ils n’étaient jamais ici, ce furent nous, les travailleurs, qui avons répondu présents. On nous a expliqué qu’il s’agissait d’une récupération de terres. Nous savions qu’il s’agissait d’un décret présidentiel et que cela n’affecterait pas les travailleurs. On prit en compte nos suggestions et nos décisions. Avant nous n’avions pas de sécurité sociale et les bénéfices économiques étaient minimes, nous étions assujettis au contrat collectif de la société des cultivateurs de canne à sucre qui ne sont autres que les grands propriétaires. La seule chose que nous mangions, c’était des pâtes et des haricots”.

Suivit l’entreprise socialiste Pedro Camejo. On commença à labourer pour mettre en place un nouveau système productif, d’études de sols, de semis de maïs, de sorgho et de soja. On amena du bétail hollandais-argentin qui permit de produire de 18 à 25 litres de lait par jour. Plusieurs inspections vinrent vérifier si le travail était rentable. Accompagnés de techniciens argentins avec de nouvelles machines, techniques pour semer et un vibrocultivateur pour combler les failles.

Les terres ont été rebaptisées Caquetíos, du nom du peuple indigène qui les habita autrefois. La quantité de fertilisants a diminué et on a organisé quatre unités de production. En 2013 prit fin l’accord de coopération avec l’Argentine.

Le Mouvement des Sans Terre du Brésil (MST) était arrivé au Venezuela en 2005. Une première historique : ce fut la première fois qu’un mouvement social signait un accord direct avec un gouvernement. “Nous sommes arrivés ici avec un objectif clair : contribuer à un processus organique de la révolution, depuis la base, et impulser la production des aliments dans le cadre de la souveraineté alimentaire. Ce qui implique un travail intégral avec les paysans et un débat autour de l’agro-écologie pour changer la manière de produire des aliments” explique Celia Rodrigues, porte-parole du MST.

Revenons à 2013. Le Mouvement des Sans Terre a présenté au Ministère de l’Agriculture un projet de production de légumes sur les terres récupérées. Trois compagnons du M.S.T. étaient chargés d’impulser le projet sous la coordination de la CVAL. Jusqu’à ce moment ils n’avaient pas vu les conditions du sol : “S’ils avaient continué à la traiter ainsi durant cinq ans, sur cette terre n’aurait plus germé une semence” assure Celia.

Cette réalité, ajoutée à une certaine méfiance institutionnelle au sujet de la présence du M.S.T., rendit nécessaire la discussion, la reformulation, et la refonte de l’accord “où nous réaffirmions que nous sommes un mouvement social paysan, que notre relation avec le Venezuela était de l’ordre de la coopération, non de l’intervention. Et que pour que notre apport fût concret et que nous puissions parvenir à des résultats nous avions besoin d’une certaine autonomie, que note expérience était suffisante pour marcher sur nos propres jambes. A partir de là nous fut assignée cette zone pour développer ce projet de production de semences et de formation socio-politique, ce dernier aspect permettant de contribuer au débat avec les paysans sur les actions pour combattre la guerre économique, pour en finir avec la dépendance des transnationales dans l’acquisition des semences et approfondir les actions visant la souveraineté alimentaire.”

Passer du chimique à l’organique, c’est tout recommencer. Il ne s’agit pas seulement d’éliminer une méthode mais d’éliminer une culture paysanne habituée par la force des monopoles à l’usage des agro-toxiques. Sans les utiliser et avec un sol aussi malmené, le projet du M.S.T. réussit à produire une récolte de plus de dix tonnes de pastèques, cinq d’oignons, et d’autres légumes. Cette année on a semé du maïs de la vallée de Guanape, état d’Anzoategui, le maïs de nos indigènes, on a récolté et trié les graines pour les resemer et les redistribuer aux autres producteurs. Le problème principal ? Le blocus d’intrants agricoles et de semences.

“Il y a une campagne de manipulation de la part des transnationales : “la semence autochtone ne germe pas et n’offre pas les mêmes indices de productivité”, ce qui rend difficile ce processus de transition et de conscientisation du paysan sur le fait que les semences n’ont pas besoin de ce package (semences importées + produits agro-toxiques pour éliminer les maladies), et de convaincre que si, c’est possible de récupérer les semences et tout l’apprentissage que nous ont légué nos ancêtres, et qu’a détruit en si peu d’années l’industrie des OGM.” En écoutant Celia nous faisons des calculs terrifiants : si on compare le temps d’intervention des transnationales en zone rurale (près de soixante ans, peut-être moins au Venezuela) aux milliers d’années de culture et de récolte menées avec des techniques inoffensives, on mesure le pouvoir de destruction des transnationales. Ils ont domestiqué notre vie paysanne sans mesurer le coût écologique de cette “haute” productivité.

Un horizon

Quand nous parlons d’agroécologie et de transition, nous parlons de temps et de patience. En  2005, quand les Sans Terre du Brésil sont arrivés au Venezuela, la consommation effrénée des « packages » par les paysans était impressionnante. En 2015, à la suite des pénuries générées par la guerre économique, ces produits sont de plus en plus rares et les paysan(ne)s se retournent vers les techniques traditionnelles. “On se rend compte que ces autres produits sont bons, la situation est difficile mais il faut en profiter. Beaucoup des personnes sont satisfaites des résultats obtenus. Quand on use d’engrais biologiques la qualité des récoltes est égale ou meilleure. Avant on utilisait des fongicides agro-chimiques, maintenant on utilise de l’huile de neem (arbre d’Inde), et aucune maladie n‘a attaqué les cultures”. Pour Celia ce changement est possible et le Mouvemet des Sans Terre continue à parier sur le projet.

Pour récupérer complètement un sol comme celui-ci, il faut au moins sept ans de travail continu. Peut-être est-ce la métaphore la plus fidèle de notre réalité. Au Venezuela, ce territoire spolié surtout depuis son activité pétrolière à partir du XIXème siècle, ce pays dont l’identité fut peu à peu détruite pour finir par s’identifier à ce qui est étranger et artificiel, nous n‘avons encore parcouru que quinze ans d’un changement social sui generis. Comme le sol des Caquetíos, nous sommes en pleines « semailles ».

C’est ce que nous ne pouvons perdre de vue lors du scrutin du 6 décembre. C’est l’heure de mesurer nos forces mais aussi de définir dans quelles mains ira tant de terres, c’est l’heure de savoir si nous retournons à la terre sèche ou si nous continuons à avancer dans la récupération de notre racine féconde.

Texte: Katherine Castrillo @ktikok

Photos : Irene Echenique @Irevendre

Source : http://laculturanuestra.com/venezuela-nunca-mas-seremos-barro-seco/

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : http://wp.me/p2ahp2-25j



Haïti : le Mouvement des paysans sans terre du Brésil préconise de s’attaquer aux problèmes structurels
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Port-au-Prince, sept. 2015 — Le Mouvement des paysans sans terre (Mst) du Brésil encourage toutes et tous à s’attaquer aux problèmes structurels de l’agriculture en vue d’une vie digne pour les paysannes et paysans en Haïti.

Depuis l’année 2009, des membres du Mst, présents sur le territoire national, établissent une relation de solidarité entre Haïti et Brésil dans la perspective de s’attaquer aux problèmes structurels de l’agriculture nationale, rappelle le représentant de la brigade du Mst en Haïti, Paolo Almeida, lors d’une visite effectuée à AlterPresse, le jeudi 10 septembre 2015.

Il en a profité pour énumérer quelques expériences, faites dans le domaine de l’agriculture, particulièrement dans la production de riz dans le département de l’Artibonite.

La brigade du Mst est actuellement à pied-d’oeuvre dans la formation technique de cinq jeunes haïtiens en agri-écologie, en accord avec l’organisation paysanne Tèt kole ti peyizan Ayisyen.

« La solidarité exige beaucoup d’efforts. Nous sommes encore en phase de discussion avec un regroupement de 4 organisations paysannes, dénommé 4 je kontre, en vue de déterminer les actions à entreprendre au niveau de l’agri-écologie, la semence et le reboisement », informe Almeida.

Installée dans le pays depuis 2009, cette délégation de solidarité brésilienne coopère avec des organisations populaires et paysannes, dans le cadre de sessions de formation touchant le reboisement, la production, la semence et des canaux d’irrigation.

Initiée avec des Brésiliens, la brigade est, à présent, composée de Cubains et d’Argentins.

Les paysans au Brésil possèdent des terres, sur lesquelles ils pratiquent l’élevage, le reboisement, la reproduction. C’est pareil pour Haïti, reconnaît Paolo Almeida, tentant de souligner un point commun entre les deux pays.

Toutefois, les paysans haïtiens ont besoin de travailler davantage sur la gestion des terres à cultiver afin d’éviter l’érosion, a expliqué Paolo Almeida.

Source : http://www.alterpresse.org/spip.php?article18834#.VfbnZn11yyc