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(Vidéo VO ST FR:) Atelier audiovisuel des Sans Terre du Brésil pour les communard(e)s du Venezuela

En mars 2023 l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » a invité Maria da Silva du Mouvement des Sans Terre du Brésil à donner un atelier de formation audiovisuelle à 15 communard(e)s vénézuélien(ne)s.

Dans le but de renforcer une méthode originale de pratiquer la communication communarde, des exercices visuels et sonores ont été réalisés pour comprendre, observer et composer des images et des sons à partir des réalités concrètes des communes. Un espace de réflexion et de dialogue constant s’est créé sur la nécessité de construire un imaginaire audiovisuel endogène qui concentre toute la force expressive de la commune.

Production et montage : Victor Hugo Rivera. Production : Terra TV. République bolivarienne du Venezuela, 2023.

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La praxis théâtrale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) – Brésil, par Douglas Estevam

L’une des expériences qui a peut-être le plus profondément exploré la relation organique entre théâtre, organisation sociale et lutte des classes au Brésil est celle menée par la Brigade nationale de théâtre “Patativa do Assaré”, du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Ce sont des dizaines de groupes qui se sont organisés dans tout le pays au cours de deux décennies d’action théâtrale, mises en œuvre par un mouvement paysan présent dans la quasi-totalité du pays. Ce travail est le fruit d’un processus de formation qui a impliqué des centaines de paysans, a pu compter sur la collaboration d’artistes professionnels du Brésil et de l’étranger et a abouti à la production de dizaines de pièces de théâtre, de poèmes, de films et de chansons parmi de nombreuses autres formes d’interventions artistiques.

La pratique théâtrale du MST est étroitement liée aux modes d’organisation et aux formulations du projet de société élaborés par le mouvement tout au long de ses années d’existence. Une pratique dans laquelle la lutte sociale, l’organisation populaire, la recherche esthétique, la formation et la politique culturelle sont intimement liées, se complètent et s’influencent mutuellement dans l’accomplissement de ce qui est considéré comme l’un des plus grands mouvements sociaux d’Amérique latine.

Le mouvement des travailleurs ruraux sans terre

Le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) est né des occupations de terres realisé en 1979 pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Il a été officiellement fondé en 1984. Depuis lors, les occupations de terres organisées par le MST, qui ont rassemblé des centaines et parfois des milliers de familles, se sont étendues à pratiquement tout le pays et aujourd’hui, quelque 300 000 familles ont accédé à la terre grâce à ces occupations. Des dizaines de milliers d’autres qui vivent encore dans des campements, avec celles (les familles) déjà instalées (assentadas), constituent la base sociale du mouvement.

L’émergence et la formation du MST s’inscrivent dans le contexte historique de la fin des années 1970, qui a vu la naissance de nouvelles forces sociales et de mouvements populaires au Brésil. Parmi les mouvements les plus importants de cette période figurent les différents syndicats qui ont cherché à s’affranchir de l’État dictatorial et ont formé la Central Única dos Trabalhadores (CUT) ; le réseau large et varié des Comunidades Eclesiais de Base (Communautés ecclésiales de base) liées à l’Église progressiste fondée sur la Théologie de la libération ; les nouvelles organisations indigènes, également renforcées par l’action de l’Église ; et, comme résultat de la convergence de toutes ces expériences sociales et organisationnelles, le Partido dos Trabalhadores (PT). L’inventivité politique de ces années-là a permis la naissance du MST, une organisation paysanne qui affronte l’une des questions structurelles de la formation sociale brésilienne : la concentration de la terre et la grande masse de personnes historiquement exclues de l’accès à la terre, les premiers étant les peuples indigènes et les millions de personnes réduites en esclavages amenées d’Afrique. L’origine des inégalités sociales abyssales qui persistent aujourd’hui dans le pays, ainsi que la culture autoritaire et violente qui caractérise sa politique et sa sociabilité, trouvent leur origine dans la formation coloniale et esclavagiste du Brésil. La concentration des terres était le pilier de cette économie et détermine encore, dans une large mesure, la place qu’occupe le pays dans l’économie internationale.

Une invention organisationnelle

Pour mieux comprendre, dans son ampleur et sa complexité, le sens et la portée de l’action théâtrale développée par le MST, il faut prendre en compte l’innovation et les fondements de sa conception de l’organisation sociale. Avant de passer à la présentation et à l’analyse des pratiques théâtrales du MST, nous allons brièvement souligner certains éléments de cette conception de l’organisation qui aideront à mieux comprendre le sens de la pratique théâtrale et de l’action culturelle du mouvement.

Le MST fonde son projet de réforme agraire et de société sur l’accès à la terre, l’élimination des injustices sociales et le dépassement du mode de production capitaliste, en se référant à la tradition large et diverse du socialisme. L’un des éléments de base du programme organisationnel élaboré pour atteindre ces objectifs est la formation complète, intégrale et “omnilatérale” de l’être humain. Le processus d’organisation et d’auto-organisation des travailleurs est la première étape de la mise en œuvre du projet du MST. Il se met en place dans les processus d’occupation, ces dernières sont organisées en noyaux de base, en cellules organisationnelles auxquelles chacun doit participer et à partir desquelles les décisions sont prises collectivement. À partir de cette structure organisationnelle de base, le processus de coordination politique s’étend pour inclure une coordination au niveau de l’État et du pays. Le fruit de ce processus de mobilisation est également l’organisation de secteurs, parmi lesquels nous pouvons citer ceux de la production, de l’éducation, de la communication, de la formation politique, du genre et de la culture, dans lesquels tout le monde doit également être impliqué. Cette structure organisationnelle vise à offrir le plus grand accès et la plus grande participation possible à la prise de décision et au développement des projets politiques.

Selon la définition du MST, le processus d’organisation est le principal moyen de formation humaine, de développement de formes de conscience sociale et de transformation subjective. En analysant et en systématisant les expériences de ces années de construction et d’expérimentation, le MST a formulé une pédagogie du Mouvement des Sans Terre, composée de “matrices” qui forment l’être humain. L’idée a été développée que le principal moyen de formation des membres du mouvement était le mouvement lui-même, à travers la lutte et l’organisation. La dimension pédagogique du Mouvement est basée sur des « matrices formatives », dont les principales sont la lutte, l’organisation, l’histoire, la terre et la culture. La culture est apparue comme un élément structurel pour un projet de société et d’organisation politique, pas seulement une question thématique, mais l’un des fondements de la conception même de l’organisation et de la formation humaine, lié aux processus de la lutte des classes.

Précédents de l’action théâtrale du MST

L’une des expériences culturelles, politiques et esthétiques les plus originales du MST est la “mística”. Issue d’une large tradition latino-américaine, développée par la théologie de la libération et par les communautés ecclésiales de base, la mística a acquis un caractère séculier dans le MST. Difficile à définir, la mística est la tentative d’offrir une expérience sensible liée au projet de société du Mouvement. Une de ses formes de matérialisation sont les interventions esthétiques, une sorte de performance ou de théâtralité, réalisées et organisées par les membres du Mouvement eux-mêmes dans diverses situations. Ces interventions esthétiques ont lieu, par exemple, à l’ouverture des réunions, des rencontres, des congrès, au début des activités scolaires et de formation, des marches, mais aussi dans les occupations et les assentamentos1. Parmi ses éléments formels les plus variés, on peut citer les chansons, la mise en scène, les décors, les costumes, les poèmes, les dramatisations, les chœurs, les projections, etc. La “mística” cherche à offrir une expérience sensible et subjective du projet de société, de l’histoire et d’une perspective d’avenir, en créant un champ d’action et d’expérience au-delà des pratiques discursives ou exclusivement conceptuelles.

La formation de la Brigade national de théâtre “Patativa do Assaré”

L’expérience théâtrale développée par le MST a comme moment décisif la formation de la Brigada Nacional de Teatro Patativa do Assaré, créée en 2001 et qui en est à sa vingtième année. La Brigade a été constituée lors de la deuxième phase de formation avec Augusto Boal et les membres du Centre pour le Théâtre de l’Opprimé (CTO) – RJ. Des dizaines de militants du MST issus de différents secteurs, tels que l’éducation, la formation politique et la culture, ont participé aux travaux et avaient pour tâche de créer des groupes dans les différents États dont ils étaient originaires et où ils travaillaient. C’est ainsi qu’a commencé la multiplication des troupes de théâtre dans tout le pays.

Bien qu’elle représente une étape décisive, les expériences théâtrales du MST et sa relation avec Boal n’ont pas commencé avec la consolidation de la Brigade nationale de théâtre. Outre les liens avec la mística elle-même, comme nous l’avons vu précédemment, un autre exemple significatif est l’expérience qui s’est déroulée une décennie plus tôt, à Rio de Janeiro, lorsqu’en 1990 le groupe du Théâtre Paysan a été créé dans l’occupation de Sol da Manhã. Augusto Boal venait de rentrer de son exil et commençait ses expériences de théâtre législatif, une des formes du théâtre de l’opprimé qu’il a développé après son retour au pays. Boal a établi un contact avec ce groupe, qui a rapidement fait partie des collectifs qui ont travaillé autour du mandat de conseiller municipal à Rio de Janeiro de Boal. L’expérience a duré environ huit ans.

La Brigada Nacional s’est structurée à partir ce travail continu avec Augusto Boal, qui lui a permis un saut qualitatif en matière de production, d’organisation et de formation par rapport à toutes les expériences théâtrales précédentes du Mouvement. Il y a eu cinq étapes au cours desquelles certaines techniques du théâtre de l’opprimé ont été travaillées, parmi lesquelles le théâtre forum (le plus pratiqué), le théâtre-journal, “l’arc-en-ciel du désir2” et, lors de la dernière réunion tenue en 2005, la création d’un théâtre de procession qui a compté avec la participation d’environ 270 militants du MST. Les techniques du théâtre de l’opprimé ont été utilisées dans les campements, les assentamentos, les écoles et, à la suite de ce travail, divers groupes ont été formés. A chaque nouvelle étape avec Boal, les processus développés, la production des groupes organisés, les limites et les nouvelles demandes ont été évalués. L’organisation de la Brigada a permis un dialogue entre les groupes, des échanges d’expériences et de productions, des actions communes, un suivi des travaux et des formations complémentaires.

Les productions, en particulier celles utilisant les techniques du théâtre forum, ont permis d’aborder des questions qui n’étaient pas abordées dans d’autres instances du MST. Ainsi, des questions essentielles telles que le racisme et le genre pouvaient être largement débattues par le biais du théâtre. Les processus du théâtre-image ont commencé à être utilisés dans les écoles comme moyen d’évaluation du processus éducatif, des enseignants et des coordinations scolaires, offrant d’autres formes de dialogue sur l’accompagnement pédagogique. Dans les occupations, les thèmes liés au pouvoir, au personnalisme ou à d’autres limites organisationnelles et politiques étaient également des thèmes de forums.

Dramaturgie et interventions

Dans le domaine de la dramaturgie, on trouve des pièces produites par les paysans eux-mêmes, qui traitent des thèmes de leur conjoncture politique et des problèmes de la vie quotidienne, du travail, des questions de genre, du racisme, entre autres3. La question de l’économie internationale, guidée par les négociations de libre-échange qui ont défini le débat politique dans ces premières années de la relation entre Augusto Boal et le MST, apparaît dans plusieurs pièces. Boal a suivi de près les pièces produites et a contribué à la révision dramaturgique ainsi qu’aux processus de mise en scène, consacrant une attention particulière à la construction des accessoires, des costumes et de la scénographie. Certaines des pièces de Boal ont été reprises, comme Não tem imperialismo no Brasil, adaptée par le MST sous le nom de Paga Zé.

Des adaptations de dramaturges brésiliens et étrangers ont également été réalisées. Dans l’État de Rio Grande do Sul, dans le cadre d’implantations réalisées sur des terres où, au XVIIIe siècle, se sont déroulées les guerres guaranis, impliquant des Indiens guaranis menés par Sepé Tiaraju contre la domination espagnole, le groupe Peça pro Povo a adapté le texte Morte aos brancos (Mort aux Blancs), écrit par Cesar Vieira, un dramaturge brésilien historique ayant plus de cinquante ans d’expérience. L’œuvre a bénéficié de la collaboration d’un important groupe de théâtre de rue brésilien, Ói Nóis aqui Traveiz. Le langage esthétique des scènes de rue, la musicalité, la construction des costumes et des accessoires, ont caractérisé cette adaptation.

Le groupe SP Filhos da Mãe… Terra a adapté la pièce Por esos santos latifundios, une pièce du dramaturge colombien Guilherme Maldonado Pérez qui traite des luttes pour la terre menées par les indigènes et les paysans en Colombie. Cette pièce, probablement présentée pour la première fois au Brésil par le MST, a été récompensée par la Maison des Amériques de Cuba en 1975, dans le cadre du concours de dramaturgie latino-américaine promu par le centre culturel cubain de référence continentale. La pièce a été jouée par le groupe au Teatro de Arena, le lieu historique où Boal avait commencé ses activités dans les années 1950.

Outre le théâtre forum, diverses autres formes de théâtre de l’opprimé ont été développées par le MST. Les techniques de théâtre invisible ont été utilisées de manière large et diversifiée, les interventions ayant lieu dans les bus, les trains, sur les bancs et même dans les propres espaces du MST, comme dans les cours ou les réunions. Une intervention de théâtre invisible a eu lieu lors d’une réunion avec des parlementaires à la Chambre législative du gouvernement fédéral, pour discuter des questions de réforme agraire. Cette intervention a influencé les thèmes des débats ultérieurs. Des interventions ont également eu lieu lors de réunions d’associations agroalimentaires, comme celles realisées pendant la conférence RJ+20, organisée par l’UNESCO à Rio de Janeiro. Le travail avec le théâtre-journal) a également été utilisé à plusieurs reprises et par différents groupes.

La plus grande expérience théâtrale du MST a été conçue avec Augusto Boal lors de la dernière réunion de formation en 2005. Il s’agit d’une intervention de théâtre processionnel à laquelle ont participé 270 militants du MST venus de tout le Brésil. La pièce a été présentée à l’arrivée de la Marche nationale du MST à Brasília, qui s’est tenue la même année, une marche qui a rassemblé 12 000 membres du MST. Outre une procession, des dizaines d’autres pièces faisant partie du répertoire de la Brigada ont été jouées par les groupes pendant les vingt et un jours qu’a duré la marche. Après avoir marché le matin, en moyenne quinze kilomètres, les marcheurs ont participé à des processus d’étude et de formation l’après-midi. Les pièces de théâtre faisaient partie de ces processus de formation. Il en a été de même lors du congrès 2007 du MST, qui a rassemblé dix-sept mille personnes et au cours duquel plusieurs pièces de théâtre ont été représentées.

Les réunions de formation avec le CTO et Augusto Boal ont été combinées avec l’étude d’autres références théâtrales, principalement l’histoire du théâtre politique et la théorie des genres littéraires. La professeure Iná Camargo Costa, de l’Université de São Paulo – USP, principal chercheur sur le sujet au Brésil, a été un conseiller permanent dans ce processus. Reprenant la tradition du théâtre politique brésilien, dont les relations établies entre les artistes et les forces sociales progressistes ont donné lieu à l’un des meilleurs moments d’expérimentation formelle et d’invention esthétique, le MST a pris comme l’une de ses références paradigmatiques les expériences des Centres de culture populaire (Centros Populares de Cultura – CPC) et du Mouvement de culture populaire (Movimento de Cultura Popular – MCP), ce dernier comptant sur la participation de Paulo Freire.

Augusto Boal lui-même avait développé un important travail avec les innombrables CPC répartis dans tout le pays et avec le MCP, jusqu’au coup d’État de 1964, lorsque ces organisations culturelles ont été détruites par l’armée en raison de leurs liens étroits avec les mouvements ouvriers et étudiants. Les Ligues paysannes, une importante organisation paysanne de cette période, dont le MST s’inspire, ont établi une importante relation de travail avec les CPC, le PCM MCP et Boal. Le travail développé entre le MST et Augusto Boal avait aussi cette dimension symbolique de reprise d’une expérience modèle commencée dans les années 60 et interrompue par la dictature militaire. Boal a toujours mentionné l’importance de cette expérience historique lors de ses rencontres avec le MST.

L’une des œuvres les plus symboliques de ce renouveau a été la mise en scène par le MST de la pièce Mutirão em Novo Sol, une pièce de Nelson Xavier et Augusto Boal, écrite en 1961 et présentée la même année au premier congrès national des paysans du(?) (dans le département de) Minas Gerais. Le texte a disparu pendant une cinquantaine d’années. Le MST a réussi à récupérer le texte, à le publier et à produire une mise en scène présentée lors de la Rencontre unie des travailleurs, des travailleuses et des peuples des champs, des eaux et des forêts, qui s’est tenue en 2012, lors d’une présentation devant 5 000 personnes. Ce texte a également été travaillé dans plusieurs écoles MST, a fait l’objet d’une version radiophonique et d’un documentaire.

Recherche formelle

La nécessité d’approfondir les questions formelles est venue de la pratique elle-même avec les diverses formes d’interventions menées par les membres du mouvement. Au début de la “Brigade”, les militants impliqués dans la création des interventions ont fait état de difficultés avec le référentiel formel jusqu’alors principalement constitué autour de certaines techniques du théâtre forum. Un large processus d’études et de recherches s’est ensuite développé sur les structures dramaturgiques et les expériences formelles réalisées dans la tradition du théâtre politique, l’analyse des conceptions du théâtre épique, la compréhension de la dimension historique et sociale de la forme, l’analyse critique des implications de la forme dramatique et de la portée et de l’impact de l’industrie culturelle, thèmes qui ont constitué un ensemble de fondements théoriques permettant d’approfondir les pratiques théâtrales dans leur multiplicité.

Il convient de noter que les analyses de l’esthétique, des dimensions sociales et idéologiques des formes artistiques et de la dialectique entre la forme et le processus social sont devenues partie intégrante du programme d’étude du secteur culturel du MST dans son ensemble. Ainsi, tant dans les arts plastiques que dans la musique et la littérature, mais aussi dans la production audiovisuelle du MST, les recherches ont été menées avec la même orientation, et la convergence et le travail conjoint entre les différents fronts artistiques qui composent le secteur culturel du MST ont permis une accumulation collective de savoir. Les débats sur l’esthétique se sont étendus à l’ensemble du MST et ont commencé à englober non seulement les expériences artistiques mais aussi diverses autres dimensions formelles de l’action directe, les processus d’organisation et de formation, les activités éducatives dans les écoles, etc.

La présence de la théorie et des œuvres de Brecht dans le mouvement a également contribué à la formation des conceptions esthétiques et culturelles du MST. Les œuvres de Hanns Eisler, le partenaire musical de Brecht, ont également influencé le MST et ses musiciens. Certains groupes ont adapté, mis en scène et travaillé avec le matériel du dramaturge allemand. À São Paulo, il y a eu une adaptationdes Horaces et des Curiaces, et à Brasília une adaptation du Cercle de craie caucasien. La Companhia do Latão, l’une des principales troupes de théâtre du Brésil, a monté une mise en scène du Cercle de craie caucasien dont le prologue a été enregistré avec la troupe de théâtre de l´assentamento Carlos Lamarca à São Paulo.

Les pièces didactiques de Brecht ont fourni un modèle de travail productif. La proposition d’expériences de formation avec les participants eux-mêmes par le biais du théâtre a été largement ecxercée. La pièce Sainte-Jeanne des Abattoirs a été utilisée à plusieurs reprises dans des cours d’économie politique utilisant les méthodes d’enseignement de Brecht. À une occasion, cette expérience a été réalisée dans le cadre d’un cours avec des représentants de divers (environ 20 pays) pays d’Amérique latine. La pièce La Décision a été travaillée à différents moments avec les membres d’un cours de base qui a duré six mois, traitant des contradictions internes du militantisme. D’autres expériences ont été faites avec Celui qui dit oui et aussi avec la pièce Le Commerce du pain.

Défis historiques

Les événements politiques les plus récents au Brésil ont profondément affecté le champ d’action des mouvements sociaux et ont également eu des impacts sur leur production culturelle. Les mobilisations d’extrême droite qui ont débuté en 2013 et ont été suivies de processus juridiques et parlementaires ont abouti à l’éviction de la présidente Dilma et à l’emprisonnement consécutif de Lula. Les thèmes de la guerre culturelle et du marxisme culturel, la menace d’une nouvelle intervention militaire et la présence dans les rues de secteurs d’extrême droite, certains ayant des orientations néo-fascistes, ont gagné en légitimité dans le débat politique et ont remodelé l’histoire politique et culturelle qui s’était constituée depuis les années 1980 avec la fin de la dictature.

Dans ce contexte historique, le MST a étendu son action théâtrale d’interventions d’agit-prop et de formation dans le domaine de la culture et du débat esthétique. Les expériences et les recherches sur les formes d’agitation et de propagande qui avaient été développées depuis les premières années de la Brigade ont pris une plus grande importance. Outre les recherches sur les traditions brésiliennes, celles sur les traditions de l’agitprop allemand, soviétique, français et américain, entre autres, développées entre les années 20 et 30 du siècle dernier, ont constitué une importante collection de références du lien entre les avant-gardes artistiques et les mouvements sociaux.

Depuis 2013, des dizaines de brigades d’agit-prop ont été formées, dans le cadre de processus de formation impliquant des centaines de personnes qui ont pris part aux différentes manifestations dans le pays au cours de cette période récente. Le MST a réussi à approfondir son travail conjoint avec les organisations urbaines, les syndicats et les mouvements étudiants, principalement le Soulèvement Populaire de la jeunesse (Levante Popular de Juventud). L’expérience du MST dans le domaine théâtral et culturel est devenue une référence pour d’autres organisations populaires.

Au cours de la même période, il y a également eu un développement important des écoles de théâtre politique et de vidéo populaire, auxquelles le MST participe en tant qu’un des organisateurs. Ces écoles s’inspirent du Frente de Trabajadores de la Cultura de Nuestra América, fondé au début des années 1970 par Augusto Boal, Enrique Buenaventura (Colombie), Atahualpa del Cioppo (Uruguay) et d’autres grands noms du théâtre latino-américain. Il y a actuellement neuf écoles qui fonctionnent au Brésil, en Argentine, avec des connexions au Mexique, en Uruguay et en Espagne, qui articulent mouvements sociaux, groupes de théâtre professionnels et universités. Ces écoles ont également joué un rôle important dans la situation politique récente.

L’action théâtrale développée par le MST, en particulier au cours des vingt dernières années avec la Brigada Nacional de Teatro Patativa do Assaré, constitue une expérience de grande importance pour avoir fait en sorte que des centaines de paysans, dans leur processus d’organisation et de lutte pour la réforme agraire, intègrent l’art et la culture comme partie intégrante de leurs conquêtes et de leurs projets de société, devenant également les créateurs de diverses formes théâtrales et interventions scéniques. Une appropriation de la tradition théâtrale qui dépassait le concept d’œuvre fermée, établissait des contacts avec des secteurs de la population historiquement privés d’accès aux biens culturels traditionnels, stimulait chez les travailleurs une profonde réflexion sur les dimensions esthétiques et culturelles de leurs luttes et de leur existence, et contribuait à l’approfondissement et au développement de la culture politique émancipatrice proposée par le MST.

L’auteur : Douglas Estevam est membre du Collectif National de Culture du MST et de la coordination nationale du Frente de Teatro Patativa do Assaré – MST. Il a travaillé avec Augusto Boal dans le processus de formation que le CTO a entrepris avec le MST.

Notes :

1 Il est utile de distinguer les « ocupações » des « assentamentos ». Une ocupação est une occupation donc un territoire en lutte pour savoir si il sera ou pas exproprié pour la réforme agraire. Le cadre juridique actuel de la Réforma Agraire a été établi dans la Constitution de 1988, sur la base d’accords sociaux signés après la fin de la dictature. Le MST fonde son action sur la constitution brésilienne. Un assentamento est une occupation réussie, qui a éte juridiquement reconnu para l´État selon la Constitution, et les propriétaires légaux sont les anciens occupants qui vont s’organiser selon différentes formes (« scop » ou pas) pour y produire et organiser l´ensemble de la vie sociale avec des écoles, centre culturels, centre de santé, etc.

2Voir Augusto Boal, Jeux pour acteurs et non-acteurs. Pratique du Théâtre de l’opprimé,Paris, La découverte, 2004 ; Augusto Boal,L’Arc-en-ciel du désir. Du théâtre expérimental à la thérapie, Paris, La Découverte, 2002.

3 On peut avoir un aperçu de la prodution dramaturgique du MST dans les deux volumes du livre Teatro e transformaçao social (Théâtre et transformation sociale), publié en 2006. Organisé en pièces de théâtre forum, théatre épique et agitprop, le deux volumes rassemble 19 pièces.

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L’alliance entre les Sans Terre du Brésil et le gouvernement bolivarien du Venezuela s’intensifie

L’alliance inédite entre un mouvement social et un gouvernement révolutionnaire, scellée par le président Chávez en 2006, se renforce : le président Nicolas Maduro a demandé à son Ministère des Communes et des Mouvements Sociaux d’intensifier la coopération avec les Sans Terre du Brésil.

Le ministère dirigé par Jorge Arreaza, et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre du Brésil (MST), représenté par son coordinateur national Joao Pedro Stédile, ont tenu le 30 novembre 2022 une vidéoconférence dans le but de renouveler et d’intensifier le programme de coopération et de travail. Un moment particulièrement propice, a rappelé Arreaza, puisque le Venezuela aborde une nouvelle étape de sa transition vers le socialisme et le Brésil entame une nouvelle étape politique avec la victoire de Lula da Silva.

En août dernier, le président Nicolás Maduro avait déjà demandé aux Sans terre de l’aider à développer un projet agro-écologique de plantation de riz. Des représentants du Mouvement ont alors effectué une visite technique au Complexe électronique de systèmes technologiques d’Alcaraván, situé dans l’État rural de Guárico, et ont étudié la possibilité d’une coopération technique. Il existe un protocole d’accord entre l’organisation internationale basée au Brésil et le ministère des communes, signé en 2014, huit ans après le premier accord signé avec le gouvernement bolivarien à la suite d’une visite-surprise du Président Chavez à une terre occupée et mise en production par les Sans Terre au Brésil.

Dans son discours, le ministre des Communes Arreaza, a défini le rapprochement comme une nouvelle étape pour générer une alliance politique, technique, technologique et sociale, une alliance intégrale entre le Venezuela et le Brésil, dans laquelle le Mouvement des Sans Terre (MST) et le ministère des communes et mouvements sociaux du Venezuela sont les principaux interlocuteurs.

Un échange de techniques et de savoirs : le Venezuela met à la disposition du MST les processus et les connaissances sur l’expérience de l’organisation du pouvoir populaire et des organisations communardes comme l’outil technologique Sistema de Integración Comunal (SINCO), plate-forme en ligne créée par le Conseil Fédéral du Gouvernement bolivarien pour maintenir une communication directe avec les Conseils Communaux, les Communes, les Mouvements Sociaux et toute organisation de base qui formule ses propres projets et demande l’appui des ressources de l’État.

« Nous avons toujours compris, en théorie et en pratique, que les changements structurels et sociaux ne sont possibles dans une société que lorsque nous parvenons à une équation qui unit un gouvernement populaire à des mouvements populaires forts et disposant d’une masse organisée. Nous suivons votre expérience vénézuélienne avec grand intérêt, car vous avez la possibilité de réunir cette équation » a déclaré Joao Pedro Stedile, de la coordination nationale du MST brésilien, au début de sa participation, au cours de laquelle il a remercié le Venezuela pour sa solidarité constante dans sa lutte politique.

Stedile a expliqué l’expérience particulière du Mouvement en matière « d’organisation, de production, de vie dans les zones rurales« , afin que le ministère des Communes puisse décider comment en faire bénéficier le Venezuela, un aspect de la coopération qu’il a divisé en plusieurs domaines : l’éducation technique, « nous avons investi beaucoup d’énergie dans le développement d’écoles supérieures d’agroécologie et de coopérativisme » ; la formation politique pour élever le niveau de culture et de conscience ; le contrôle des semences, l’agro-industrie coopérative, les machines et outils agricoles, et les bio-intrants, fondamentaux pour affronter le modèle agro-industriel.

Le coordinateur national des Sans Terre a également avancé l’idée d’établir un bureau ou une antenne à Caracas pour la coordination technologique et scientifique, ce que le ministre Arreaza a accueilli positivement, tandis qu’il a proposé de renforcer l’Institut universitaire d’agroécologie « Paulo Freire », situé à Barinas, né de la coopération avec le Mouvement des Sans Terre, dont le leader a ajouté que des écoles d’agroécologie devraient également être créées dans les organisations communardes. Lors de cette vidéoconférence organisée à Caracas le 30 novembre, les deux parties se sont engagées à maintenir la communication et à établir d’autres réunions directes afin de concrétiser et de faire le suivi de ces actions.

Source : https://www.comunas.gob.ve/2022/11/30/ministerio-comunas-movimiento-sin-tierras-brasil-renuevan-programa-trabajo/

Traduction : Thierry Deronne


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Les Sans Terre du Brésil à l’école du Venezuela: « ici, le peuple est vraiment le sujet de la révolution »
Les Sans Terre du Brésil à l’école du Venezuela: « ici, le peuple est vraiment le sujet  de la révolution »

Photo: Messilene Gorete, coordinatrice de l’équipe des Sans Terre du Brésil au Venezuela. « Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne. Et la commune vénézuélienne est un modèle dont notre continent a besoin.« 

Le Mouvement brésilien des Travailleurs Sans Terre est une puissante organisation paysanne qui lutte pour une réforme agraire radicale et populaire. L’organisation a une longue tradition internationaliste et envoie des brigades de solidarité dans le monde entier pour accompagner les mouvements paysans. Au Venezuela, l’équipe des Sans Terre a été invitée par Hugo Chávez et travaille depuis près de 18 ans. Elle y joue un rôle important dans l’aide aux mouvements communaux et paysans de ce pays des Caraïbes. Entretien avec Messilene Gorete, qui coordonne cette équipe.

L’internationalisme a toujours été important pour le Mouvement des Sans Terre. Ici, au Venezuela, la Brigade Apolônio de Carvalho accompagne les mouvements paysans depuis près de deux décennies. Comment le Mouvement des Sans Terre conçoit-il l’internationalisme ?

L’internationalisme est dans l’ADN de notre organisation. Depuis la naissance de l’organisation, nous appuyons les luttes qui ont lieu au-delà des frontières du Brésil comme si elles étaient les nôtres. Sur le drapeau des Sans Terre, on voit un homme et une femme sur fond de carte du Brésil, mais aussi une machette paysanne qui s’étend au-delà de la frontière. Nous avons intégré l’internationalisme à notre stratégie politique de manière plus formelle, car nous comprenons que la lutte pour la réforme agraire ne peut être menée de manière isolée. Il est nécessaire de construire des liens de solidarité, d’apprendre avec les autres et de lutter ensemble.

Notre internationalisme découle d’une longue tradition en Amérique latine et dans le monde. La révolution cubaine est un exemple clé pour les Sans Terre; l’internationalisme extraordinaire du peuple cubain nous a beaucoup enseigné. Nous avons également appris des luttes de libération en Amérique Centrale, en particulier des brigades internationalistes qui ont accompagné les révolutions sandiniste et salvadorienne. Bien sûr, l’internationalisme bolivarien du processus vénézuélien a également laissé sa marque sur notre organisation. Nous comprenons l’internationalisme à la fois comme un principe et comme une pratique. En tant qu’organisation révolutionnaire, nous ne pouvons survivre que si nous construisons et apprenons avec les autres de manière solidaire.

La brigade Apolônio de Carvalho, l’équipe des Sans Terre basée au Venezuela, tire son nom d’un grand révolutionnaire brésilien : Apolônio est parti en Espagne pour lutter contre Franco avec les Brigades Internationales. Lorsque nous sommes arrivés au Venezuela, nous avons pris ce nom pour lui rendre hommage.

Photos : Le drapeau des Sans Terre du Brésil

L’un des défis auxquels le Venezuela est confronté aujourd’hui est de surmonter la logique rentière qui a transformé l’économie vénézuélienne en une économie dépendante et « portuaire ». Le Mouvement des Sans Terre, fort de sa vaste expérience, accompagne les organisations paysannes et communales dans tout le Venezuela, en promouvant une agriculture durable qui peut rompre avec la dépendance et construire la souveraineté alimentaire.

Comment travaillez-vous avec ces organisations locales ?

La Brigade Apolônio de Carvalho est présente au Venezuela depuis 2005. Hugo Chávez avait demandé que le Mouvement des Sans Terre apporte son expérience au Venezuela et accompagne les organisations paysannes dans la production alimentaire, avec pour objectif la transition vers la souveraineté alimentaire. Nous avons accompagné diverses organisations paysannes dans le pays. Nous avons fait de la production de semences une priorité afin que l’agriculture locale puisse assurer la souveraineté alimentaire du pays. Mais la production de semences ne peut être un objectif isolé. L’objectif est de changer l’ensemble du modèle de production. L’ensemble du modèle doit être radicalement modifié. Pour cela, il faut appliquer un schéma agroécologique intégral.

Dans notre travail, nous nous concentrons également sur les chaînes productives, terme utilisé par Chávez pour désigner le cycle intégral de production, de commercialisation et de consommation des aliments. C’est une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous tentons de construire la souveraineté alimentaire. Sortir de l’économie rentière basée sur le pétrole passe par développer une nouvelle conscience. Cependant, cette conscience ne viendra que lorsque de nouvelles pratiques de production et d’organisation commenceront réellement à émerger.

Photos: En 2005, Hugo Chávez a visité le campement du MST de Lagoa do Junco, à Río Grande do Sul, au Brésil. Un accord de coopération a été signé lors de cette visite. (MST)

Avec quels types d’organisations et d’institutions le Mouvement des Sans Terre travaille-t-il au Venezuela ?

À nos débuts, nous avons travaillé avec le mouvement paysan Frente Campesino Ezequiel Zamora. Nous avons également travaillé avec des institutions gouvernementales et des organisations communales. Nous avons assumé les communes comme une priorité. Nous soutenons les organisations communales au Venezuela, mais nous apprenons aussi d’elles. Le modèle communal est quelque chose dont tout le continent a besoin ; c’est une façon de faire qui transforme vraiment le système existant, et la révolution bolivarienne en a fait une pratique. C’est très important pour les Sans Terre du Brésil.

Ce que nous avons fait avec les communes, c’est les aider comme nous le pouvons. Mais il est encore plus important d’apprendre des pratiques quotidiennes des gens lorsqu’ils se réunissent, construisent une commune sur leur territoire et développent une stratégie de production ayant pour objectif le bien commun. Dans une commune, tout cela se passe en construisant une nouvelle hégémonie. Au fur et à mesure que les conseils communaux, les entreprises de propriété sociale et le parlement communal se développent, le projet prend forme comme quelque chose de viable dans l’esprit des gens. Je pense que le plus grand enseignement de la révolution bolivarienne pour ceux qui luttent, y compris les Sans Terre, est la commune.

Le Mouvement des Sans Terre s’est engagé dans l’agriculture écologique. Comment faites-vous pour promouvoir cela ici au Venezuela ?

Il n’est possible de construire un projet souverain que si nous changeons réellement le modèle productif dans les zones rurales. Pour ce faire, une formation et une préparation techniques sont nécessaires, mais l’éducation politique est également indispensable. Pour qu’un tel changement se produise, les gens doivent comprendre que si nous luttons pour un modèle social différent, si notre horizon est le socialisme et si nous travaillons avec l’idée d’une nation souveraine, il est urgent de repenser nos modes de production. Pour résoudre ce casse-tête, l’agroécologie est un élément important. Par ailleurs, l’agriculture technologique doit devenir une politique d’État. En d’autres termes, l’agroécologie n’est pas seulement une méthode pittoresque à appliquer dans la production de conucos [parcelles traditionnelles de production familiale] ; le modèle doit être viable et permettre de nourrir l’ensemble de la société de manière durable. En ce qui concerne l’agriculture durable, notre tâche consiste à la promouvoir, à offrir un soutien technique et une éducation politique. Les Sans Terre ont également fait don de semences à l’Union Communarde pour aider à la transition vers l’agriculture durable.

Lorsque nous organisons des ateliers avec les paysans, nous enseignons les techniques de l’agriculture durable : de la production d’intrants agricoles biologiques aux méthodes non toxiques d’éradication des parasites. Il est intéressant de noter que la crise et le blocus ont fait tomber certains des obstacles au passage à l’agriculture durable. Désormais, de nombreux paysan(ne)s comprennent qu’il est possible et nécessaire de produire sans produits chimiques. Néanmoins, le passage à des pratiques écologiques dans la production à grande échelle reste un défi immense. Le but n’est pas de forcer les gens à changer leur modèle agricole, mais d’aider à créer les conditions pour qu’ils comprennent que ce changement est viable et nécessaire. Après tout, si cela ne se produit pas, les producteurs continueront à être dépendants des sociétés transnationales et le pays continuera à importer d’énormes quantités d’intrants agricoles. Il va sans dire que les pratiques agricoles traditionnelles ont des effets néfastes sur la vie des paysan(ne)s, mais aussi sur l’environnement.

Un modèle social différent exige un changement dans la façon dont la production se déroule dans les zones rurales. C’est pourquoi nous offrons des ateliers technico-politiques aux communes et aux autres organisations paysannes.

Les Sans Terre font désormais partie du paysage des mouvements populaires au Venezuela, dans une révolution qui se considère comme bolivarienne et, pour cette raison, latino-américaine. Qu’ont appris les Sans Terre de ce processus ?

Cela fait presque 18 ans que la première équipe de Sans Terre a atterri au Venezuela. Notre méthode de formation des brigades est la suivante : les compagnes et compagnons internationalistes Sans Terre restent ici pendant environ deux ans, puis nous retournons au Brésil, pour partager notre apprentissage avec d’autres membres de l’organisation. Dans l’ensemble, nous pensons que nous avons appris beaucoup plus que ce que nous avons enseigné ici.

Les membres de l’organisation qui viennent au Venezuela apprennent du processus bolivarien. Partager l’expérience des Sans Terre dans un pays en plein processus révolutionnaire constitue pour nous une école. Nous apprenons beaucoup des succès de la révolution bolivarienne, mais nous apprenons aussi des contradictions de la vie quotidienne des gens. Nous apprenons ce que nous devons et ne devons pas faire dans une société en transition vers le socialisme.

Parmi les choses les plus concrètes que nous avons apprises, il y a la façon dont le peuple vénézuélien a été l’acteur central de son processus révolutionnaire – en particulier les organisations politiques de base – et comment un processus en mouvement constant élève le niveau de conscience du peuple par la participation directe. Il ne s’agit pas d’une simple spontanéité, mais d’une participation intense, liée à une organisation territoriale et nationale. C’est une grande leçon pour nous : les gens doivent être impliqués dans les processus d’organisation dans toutes les sphères de la vie. Et oui, la commune est un espace où nous avons beaucoup appris. Dans les espaces communaux, les gens comprennent la nécessité de s’organiser pour construire une société vraiment différente.

Nous avons également appris de la créativité quotidienne des gens dans le processus bolivarien. Parfois, à gauche, nous avons des schémas très fermés sur le niveau de préparation et de planification nécessaire pour avancer, et cela peut devenir un obstacle. Au Venezuela, les gens savent que tout cela est nécessaire, mais la créativité – dans un pays où les gens sont très spontanés – est une grande vertu de la révolution bolivarienne.

Nous avons également beaucoup appris des processus électoraux. Le Mouvement des Sans Terre accompagne ces processus parce que le conflit électoral est aussi une bataille pour la défense du projet révolutionnaire. Ici, les élections ne sont pas liées à des intérêts individuels ou de groupe, mais à des intérêts collectifs. C’est très différent du Brésil, où les élections sont une sorte de marché et où la finance tend à gagner et à conserver le pouvoir. Ce qui est en jeu dans un processus électoral au Venezuela, c’est un projet politique. Ici, les élections ne sont pas un marché.

Le Venezuela nous a appris qu’une campagne n’est pas seulement un outil pour être élu, c’est aussi un moment pour se rapprocher des organisations de base et stimuler la participation du peuple. Le Parti Socialiste Uni du Venezuela (PSUV, principal parti chaviste) est le parti le plus avancé du continent lorsqu’il s’agit de défendre une révolution dans un tourbillon électoral. Bien sûr, les élections se déroulent ici dans les paramètres de la démocratie bourgeoise, mais les campagnes aident à construire un autre type de démocratie.

Nous avons aussi appris de l’anti-impérialisme et des pratiques patriotiques de la révolution bolivarienne, qui sont très tangibles dans la vie quotidienne du peuple vénézuélien. Le Brésil n’a pas connu de lutte historique pour son indépendance, et c’est peut-être pour cela que nous avons une société très fragmentée, une société qui n’a pas la défense de la patrie comme valeur fondamentale.

D’un point de vue politique, notre société est beaucoup plus dominée. Au Venezuela, nous avons appris comment construire un sentiment patriotique – non pas au sens du nationalisme bourgeois, mais avec l’objectif d’avoir un pays véritablement indépendant à tous les niveaux : économique, politique et social.

Photo: L’école technique agricole Ernesto Guevara d’El Maizal est gérée en collaboration avec les Sans Terre. (Commune d’El Maizal)

Le Brésil a des élections présidentielles le 2 octobre 2022. La course opposera l’extrême droitier Jair Bolsonaro au progressiste Lula da Silva. Quelle est l’importance de cet événement pour le Brésil et pour le continent ?

Le Brésil traverse une grave crise sociale et économique : les conditions de vie de la population sont catastrophiques. Des dizaines de milliers de personnes vivent dans la rue, dans des conditions de misère absolue, tandis que 60 millions de personnes sont directement touchées par la crise capitaliste : le chômage et l’inflation des prix alimentaires sont endémiques et les idées fascistes continuent de progresser. Bien entendu, le gouvernement d’extrême droite de Bolsonaro n’a aucun intérêt à résoudre les nombreux problèmes sociaux de notre pays. Au contraire, ses politiques favorisent le marché et la bourgeoisie, tandis qu’il encourage les idées fascistes et promeut un discours de violence.

C’est pourquoi nous pensons que les prochaines élections présidentielles revêtent une importance stratégique pour le Brésil et pour l’Amérique latine dans son ensemble. Si Lula gagne, la carte du conflit continental changera : cela permettra à la gauche et aux projets progressistes de continuer à avancer. La confrontation avec l’impérialisme et son projet économique broyeur se fera également dans des conditions plus favorables.

Le peuple brésilien doit choisir Lula comme président. Ce ne sera pas facile, mais il y a de bonnes chances que nous réussissions. En tout cas, pour atteindre notre objectif, nous devons travailler dur ; nous luttons contre un ennemi très puissant. Il dispose d’un solide soutien de 30% d’électeurs et de nombreux pouvoirs de facto, et de tentacules de grande envergure.

Les Sans Terre participe à la bataille électorale en promouvant des comités de débat à la base. Les débats au sein de ces comités vont de l’avenir du pays aux politiques qu’un gouvernement populaire du PT [Parti des travailleurs] devrait promouvoir. Les élections du 2 octobre sont très importantes, mais une victoire ne serait qu’un début. Les gens devront être prêts à défendre cette victoire. La situation du pays ne sera pas résolue avec des politiques d’assistanat, mais avec des politiques qui restructurent les choses en faveur du peuple. La crise du Brésil fait partie de la crise du capitalisme. Pour aller de l’avant avec les grandes réformes dont nous avons besoin, la mobilisation sera essentielle.

Enfin, le Brésil a un rôle important à jouer en matière d’unité latino-américaine. Il est urgent de réactiver les projets qui rassemblent le continent. Chávez a promu l’intégration économique et politique avec des mécanismes tels que la CELAC [mécanisme de dialogue multilatéral latino-américain] et l’UNASUR [mécanisme d’intégration sud-américain]. Alors que l’impérialisme états-unien perd son hégémonie, les gouvernements progressistes du continent doivent unir leurs forces. C’est pourquoi une victoire de Lula et du Parti des Travailleurs (PT) en octobre est importante non seulement pour le Brésil mais aussi pour l’ensemble de l’Amérique latine.

Propos recueillis par Cira Pascual Marquina

Source : https://venezuelanalysis.com/interviews/15536

Traduction de l’anglais : Thierry Deronne

URL de cet article : https://venezuelainfos.wordpress.com/2022/05/27/les-sans-terre-du-bresil-a-lecole-du-venezuela-ici-le-peuple-est-vraiment-le-sujet-de-la-revolution/



Le collectif, une autre idée de la révolution, par Florence Poznanski
L'art et l'alimentation au service de la révolution © Brooke PorterL’art et l’alimentation au service de la révolution © Brooke Porter

En ces temps de crise sanitaire et économique la place de l’humain prend une autre dimension. « Solidarité », « résilience », « prendre soin de l’autre », ces mots sont aujourd’hui sur toutes les bouches, y compris celles qui, il y a encore quelques mois, priorisaient davantage l’épanouissement individuel à celui du collectif. Si la perte des êtres chers et la préoccupation pour sa propre survie sont des traumatismes assez forts pour nous faire prendre conscience de l’indéfectible lien qui nous relie à la collectivité, cette solidarité ne peut être invoquée seulement par temps de crise, comme d’aucuns en appellent à l’intervention de l’État pour répondre aux problèmes économiques.

Cette crise doit nous interroger profondément sur notre relation au collectif, tant au niveau des politiques publiques et des services publics, qu’à l’échelle des organisations associatives ou locales auxquelles on peut appartenir. Penser le collectif, ce n’est pas mettre ensemble des individus, mais s’intéresser à ce qui les rassemble jusqu’à ce que le commun les transcende. En ce sens, les organisations (y compris celles qui mettent en avant l’humain et la collectivité) ont aussi un travail à mener pour sortir d’une approche parfois uniquement rationnelle et programmatique et la traduire dans la pratique quotidienne.

De retour d’un séjour de deux semaines avec les femmes militantes du mouvement des travailleurs et travailleuses sans terre (MST) au Brésil, je souhaite m’attarder ici sur la description de son organisation, comme une source d’inspiration mondiale à tous ceux qui s’intéressent aux moyens de transformer radicalement la société.

Le MST n’est pas le seul exemple. L’Amérique latine est pour nous ce terreau vivant d’expériences révolutionnaires comme celle des communes au Venezuela, des « caracoles » du mouvement zapatiste du Chiapas au Mexique, entre autres. Mondialement connu pour sa lutte pour la réforme agraire populaire comme fondement d’un projet politique révolutionnaire d’inspiration socialiste au Brésil, le MST est certainement le mouvement social le plus puissant d’Amérique latine, si ce n’est l’un des plus importants au monde. Il puise sa puissance dans une organisation exigeante et généreuse qui applique à tous ses niveaux la primauté du collectif et la valorisation du vivre ensemble.

Florence Poznanski, activiste, secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise, Belo Horizonte – Brésil
@FLORENCEPOZ FLOR.POZNANSKI

Réforme agraire, graine de révolution

Le MST est un mouvement de paysans brésiliens qui luttent pour une réforme agraire populaire, c’est à dire l’abolition de la propriété privée et du latifundium et une distribution égalitaire de la terre comme source essentielle de travail et subsistance. Il naît des luttes paysannes de résistance au sortir de la dictature militaire à la fin des années 70 et s’inspire d’un vaste héritage de luttes, révoltes et victoires populaires éliminées de l’histoire officielle nationale comme la résistance des esclaves, des peuples autochtones ou les luttes des travailleurs pauvres contre l’oppression depuis l’époque de la colonisation. Son activité principale porte sur la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de paysans pour l’occupation et l’organisation de campements de production agricole autonomes.

Dans son programme, la réforme agraire n’est pas qu’une politique publique à mettre en œuvre, mais la base d’un autre projet de civilisation qui inverse les rapports de pouvoir. Car posséder la terre, le territoire, c’est décider qui en sont exclus et qui pourront en tirer profit. Le MST se base ainsi sur une historiographie de l’organisation politique de la terre au fil des différents régimes latino-américains (colonies, républiques bourgeoises, dictatures) pour étudier les soulèvements populaires d’indépendance que le continent à connu.

Il construit son action nationale mais aussi internationale, dans le but de renforcer ces soulèvements populaires qu’ils soient locaux comme l’occupation d’une parcelle de terre improductive ou à l’échelle d’un pays comme substrat d’une révolution citoyenne. L’organisation collective est donc consubstantielle de son fondement, non seulement dans les principes du projet de société qu’il construit, mais aussi au quotidien. Pour cela, il se base sur une méthodologie d’organisation qui met en avant la formation militante, l’auto-organisation et une culture collective du vivre ensemble.

L’individu et le collectif

Il est facile de penser que le collectif serait l’annulation de l’individu. Il est plus approprié de dire que le collectif est l’annulation des privilèges qui éloignent l’individu du collectif. C’est à partir du moment où l’individu cesse de considérer l’annulation de ses privilèges comme une privation, mais bien comme une satisfaction de les mettre en commun, que sa place dans le collectif prend sens. Sa force ne dépend alors plus simplement de lui, mais de la richesse du collectif auquel il a lui-même contribué.

Parce que le mouvement doit en permanence compter sur son auto-organisation pour bâtir et entretenir ses équipements, organiser ses campements, cultiver et distribuer sa production agricole, élaborer et diffuser ses idées ou encore assurer sa sécurité, le partage des tâches au sein du collectif est essentiel. Elle commence à l’échelle des campements qui rassemblent chacun plusieurs centaines de personnes issues des classes les plus populaires : travailleurs agricoles exploités ou habitants des périphéries urbaines sans logement. On s’y organise pour construire son logement, planter la terre, éduquer les enfants, soigner les malades et défendre le campement sous la menace permanente des milices, de la police ou de la justice. Bien souvent l’État n’y assure qu’un rôle répressif ou n’offre que des services publics précaires. Le mouvement doit donc gérer l’organisation de A à Z d’une collectivité qui repose sur la participation de chacun et une exigeante discipline. Bien-sûr, cette organisation ne se fait pas sans difficultés ni conflits. Là encore c’est au niveau du collectif que les solutions sont à trouver, via de nombreuses réunions de délibération collective.

Une autre vision du pouvoir

Le campement du MST "Marielle Franco" près de São Paulo © Brooke PorterLe campement du MST « Marielle Franco » près de São Paulo © Brooke Porter

La construction de cette collectivité vise en fin de compte la naissance d’une autre forme de pouvoir : le pouvoir populaire. Un pouvoir qui ne s’exercerait plus par la domination mais par la mise en commun et le partage. Et l’organisation de ces collectifs en quête de toujours plus d’autonomie visent à substituer toute forme de domination ou de dépendance par une action collective : la domination du travail et la dépendance alimentaire par l’organisation de coopératives agricoles, la domination idéologique et culturelle par l’organisation militante.

Attaché à rétablir l’héritage de siècles de résistances populaires, il est une autre dépendance contemporaine à laquelle le MST s’applique aussi à s’émanciper c’est celle de notre propre corps. Cela commence par la promotion d’une vie saine sans pesticides avec sa capacité à alimenter le plus grand nombre avec ses produits issus de l’agroécologie1. Mais la réflexion va encore plus loin.

Alors que la société mondiale ne sait plus se soigner sans les médicaments de l’industrie pharmaceutique et que dans la plupart des pays comme le Brésil, la santé n’est pas un droit mais une marchandise, le MST s’applique à réintégrer la médecine populaire traditionnelle par les plantes. La formation des professionnels de santé est basée sur une réappropriation holistique du rapport aux besoins et aux carences du corps pour sortir du réflexe symptômes/médicaments. Sans pour autant rejeter la médecine conventionnelle, le travail des médecins populaires vise à assurer une santé de base gratuite au plus grand nombre et contribue aussi à montrer que la transformation des rapports sociaux passe aussi par la prise en compte collective de la santé corporelle et mentale des individus, dimension négligée par la plupart des organisations.

La place de l’humain et du symbolique

l'art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porterl’art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porter

Tout cette organisation prend du temps et ne s’achève en fin de compte jamais. Un temps qui n’est pas gâché, qui n’a pas moins d’importance que les moments de réflexion politique ou de débats de conjoncture, puisque c’est le temps de la réalisation, le temps de la vie. Cette approche est un des fondements de l’éducation populaire qui inscrit la formation du sujet politique dans sa propre trajectoire de vie. Organiser le mouvement est donc un accomplissement politique en soi. Et puisqu’il fait partie de la vie il est aussi traversé d’émotion, d’identification. Il ne faut pas penser uniquement à distribuer des tâches, mais aussi accorder le temps nécessaire dans l’organisation à l’expérience du vivre ensemble.

La célébration ne se vit pas en creux de l’action politique, dans les moments de temps libre informels, mais comme un des moteurs qui donnent du sens à cette action. Dans les activités du MST on chante, on joue de la musique, on récite des poésies, on peint et on crée. On y raconte les peurs des paysans, les tranche de vie des femmes face aux violences domestiques, on se rappelle des victoires des luttes passées, on rend hommage à ceux et celles qui sont tombées. L’art et la culture populaire prennent ainsi tout leur sens politique pour faire des valeurs scandées dans les mots d’ordre du mouvement quelque chose d’intime, de réel. Cet attachement s’insère aussi dans une stratégie politique claire de contrer la domination idéologique véhiculée par l’industrie culturelle de masse au service du capitalisme.

En alliant actions de transformations concrètes, valorisation de la vie par l’alimentation saine et le collectif et en utilisant l’art et la culture comme vecteur de mobilisation militante, l’action politique du MST a quelque chose de profondément transformateur ou bien tout simplement révolutionnaire.

Notes :

1Le MST est aujourd’hui le premier producteur de riz biologique au Brésil.

Source : https://blogs.mediapart.fr/florence-poznanski/blog/020520/le-collectif-une-autre-idee-de-la-revolution

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L’histoire des sans terre : L’école Florestan Fernandes 1/6

Fernandes 1/6

Florestan FernandesL’Ecole Florestan Fernandes

Nous voudrions consacrer quelques posts au mouvement des paysans sans terre, plus connu sous ses abréviations MST.
Nous avions découvert leurs réalités il y a 7 et 12 ans lors de précédents voyages au Brésil. Nous avions alors vu de nos yeux ce que veut dire « occupation des terres » dans un campement fraîchement installé où nous avions passé une journée (un des posts  d’alors reprendra cela ici); découvert la première attribution au Brésil d’une terre à des paysans, la Copavi, dans le Parana,  et l’école Milton Santos. Cette expérience a été la source de notre engagement au CCFD-terre solidaire par la suite.

Dans ce premier post, nous voudrions vous parler de l’université Florestan Fernandes que nous avions visitée  avec beaucoup d´émotion. Émotion parce nous constatons combien sont encore vivaces les premières rencontres avec le MST en 2007, mais aussi émotion de pouvoir partager par le dedans une nouvelle fois une expérience encore nouvelle avec des personnes qui savent communiquer et partager leur passion de l’homme; Émotion enfin, parce que cette université a été en partie financée par le CCFD- terre solidaire de France et la Caritas international. C’est Daiane qui nous a accompagné durant cette visite.
drapeau-mstCette Université est située dans la campagne à environ 70 kms de São Paulo. Elle existe depuis 2005 (23 janvier … anniversaire dans quelques jours !).
Son originalité réside dans plusieurs dimensions :
– ce sont plus de 1000 paysans sans terre qui l’ont construite, par brigades venant pour un mois ou deux, volontairement, des quatre coins du Brésil pour construire les bâtiments;
– Parce que l’accès au savoir est essentiel pour le MST (nous y reviendrons), les cours sont gratuits et diplômants; même les repas font partie de cette gratuité; les aliments étant fournis par les campements (assentamentos) et l’Université elle-même. Notre repas sera offert.
– Concernant les cours, ce sont plus de 500 enseignants bénévoles, qui viennent des 4 coins du Brésil, reconnus pour leur compétences universitaires, leur sens pédagogique et leur professionnalisme. Ils assurent à tour de rôle, l’enseignement dans toutes les disciplines (sociologie, psychologie et sciences humaines, économie et politique, droits de l’homme, philosophie, culture, mais aussi tout ce qui concerne l’administration des assentamentos : écologie, agrologie, gestion… etc… ). La bibliothèque comprend plus de 40 000 ouvrages, essentiellement faite de dons.
P1140414– Les cours sont donnés aux élèves par « rotation » de 200, suivant le cycle et la matière enseignée (et la capacité d’accueil). Ceux-ci sont hébergés gratuitement dans des lieux de vie. A charge pour eux, de retour dans leurs assentamentos ou accampamentos, de redonner ce qu’ils ont appris à ceux qui ne pouvaient pas venir faute de moyen.
– – Une chose intéressante est la méthode pédagogique. Il n’y a que 6 salariés (1 chauffeur et 5 cuisiniers pour 400 repas en moyenne avec les enseignants et les visiteurs), et 32 permanents  bénévoles. Toute l’infrastructure matérielle est assurée par les résidents eux-mêmes qui participent à la vie collective de l’Université. Manière pour eux de contribuer à la construction et à la socialisation de la connaissance et de participer à la pérennité de l’Université. Ainsi, cours théoriques et mise en pratique vont de paire dans cette vie communautaire, contrairement aux autres universités « gratuites » mais qui ne sont accessibles qu’aux classes aisées.
– A ce jour, près de 20 000 étudiants ont bénéficié d’une formation depuis 2005… avec une participation féminine de 51 %.
–  l’originalité de l’école est également son ouverture (gratuite donc) à toute personne venant d’autres pays : du cône sud américain bien sûr mais aussi de l’Asie, de l’Afrique et même d’Europe.
– Pour la réalisation de ses différentes activités, l’Université Florestan Fernandes dispose  de lieux  divers tels que amphithéâtre, auditoriums, imprimerie, avec productions audiovisuels et culturels,  outils didactiques, audiovisuels, informatiques (moyens encore bien pauvres pour ces derniers, fautes de capacité de financement).
– Plus qu’une formation où chacun prend pour soi un savoir comme dans une université classique, trois aspects caractérisent l’identité populaire de l’université : 1) l’origine de classes et la lutte contre l’exclusion sociale, 2) la recherche permanente de la connaissance , 3)  l’unité entre la solution des problèmes immédiats et la recherche de la transformation de la société. Il y a un « ensemble » qui se dit dans cette approche.
– n’oublions pas, pour cette université en pleine campagne, les infrastructures matérielles telles que buanderie industrielle, productions diverses, ferme, eau…), espaces sportifs, de détente, …
– Toute cette organisation suppose une  » mistica » (voir ici) c’est à dire un mode et une pensée commune de fonctionnement qui se dit à travers des symboles forts (lever de drapeau le matin, tâches communes dans un certain esprit, attribution de nom de personnes, « marquantes » pour le mouvement, pour les différents lieux de vie. Ces personnes sont, ou ont été, porteuses d’un idéal à poursuivre et sont perçues comme témoins d’une vie donnée…
P1140406Pourquoi ce souci de procurer une formation aux plus démunis ?
Dans le contexte mondial actuel, caractérisé par une économie  internationale basée sur une libéralisation croissante du marché et des finances, l’agriculture n’échappe pas à la pression planétaire. Il est essentiel pour les paysans sans terre de comprendre les rouages socio-économiques, politiques et financiers qui mènent le Brésil, le continent et le monde pour ne pas continuer à rester en touche et agir sur des changements à tous ces niveaux.
L’éducation est depuis toujours un secteur fondamental pour le MST, qu’elle concerne l’alphabétisation, la formation technique ou encore la formation politique. (Des écoles sont systématiquement construites dans les campements, soit 2 000 écoles ayant accueilli quelque 200 000 enfants. Plus de 50 000 jeunes et adultes ont également suivi des programmes d’alphabétisation). Le programme spécifique développé à Florestan Fernandes permet d’être à même d’affronter la réforme agraire qui ne peut plus, aujourd’hui, pour le MST, se cantonner à la seule distribution de terres. Il doit intégrer des politiques de production agricole, d’éducation et de protection des droits sociaux, en garantissant à chacun les moyens de vivre en zone rurale.
bibliothèque Florestan FernandesC’est pour comprendre surtout les évolutions des rapports sociaux et des contextes politiques, que  le MST a créé cette école conçue comme une université populaire des mouvements sociaux, et qu’en peu d’années elle est devenue référence dans ce domaine.
De même sur le plan environnemental,  le MST essaie d’enseigner des techniques pour une production biologique, en harmonie avec l’environnement. ( Assistance technique, renforcement des capacités techniques, développement de production de semences biologiques pour fournir les graines non OGM aux paysans…). Le souci écologique est un des axes prioritaires du MST. Pour l’Université, dans la pratique, l’objectif est de tendre vers une autonomie alimentaire, de diminuer les dépenses vers l’extérieur et d’être un terrain d’apprentissage pour les étudiants.

P1140410On le voit c’est une formule originale qui s’est mise en place. Fragile car les soucis financiers demeurent face aux factures de grandes importances (eau, impôts, électricité..). L’Etat n’intervient en aucune manière dans ce projet sur le plan financier. (s’il y en a qui ne savent pas où placer leur argent, prendre contact avec le CCFD ! …)

Nous avons été interpellés par le dynamisme et la joie communicative des participants de cette école, personnels bénévoles et étudiants, embarqués dans un projet commun au service de tous. Il y a dans ce projet communautaire une foi en l’homme pour qu’il sorte de conditions de vies indignes, une foi en l’avenir pour que la terre soit viable et pour que  la justice et la solidarité entre les hommes soient effectives.
A la fin du repas nous avons pu rencontrer Joan Pedro Stedile, coordonnateur du mouvement des sans terre. (voir ici un interview de lui). Quand nous le remerciions pour son travail, il nous interpelle en disant « Nada de ‘obrigado’ entre companheros mas compromisso ! »
« Pas de ‘merci’ entre compagnons mais engagement ! » « ; 
« compromisso » : mot intraduisible (pour nous) en français qui veut à la fois dire « engagement, ensemble, uni ».
Le sourire de Daiane lors de notre départ était un appel : que nous cliquions sur leur page Facebook  le « j’aime » ou « like » pour atteindre les 5000 signatures que l’Université s’est fixée… Pourquoi pas la vôtre ?

« La grandeur d’un homme, se définit par son imagination et sans une éducation de première qualité, l’imagination est pauvre et incapable de donner à l’homme les instruments pour transformer le monde » .
Florestan Fernandes

Avec cette Université et avec tous ceux qui sont engagés dans  cet objectif, à notre manière nous sommes heureux de participer, modestement avec ce site,  à ce travail de formation et de conscientisation des hommes et des femmes de ce temps… et de partout … internet oblige !…

en savoir plus
– à l’ENFF la connaissance libère les conscience
– École nationale du MST “Florestán Fernandes”

… à suivre dans les prochains posts, avec l’histoire du mouvement des  Sans Terre,,  la découverte d’un assentamento…
Compromisso !

avec Pedro Stedile

Source de cet article : https://kestenig.fr/lhistoire-des-sans-terre-1-6/



« A la main »: permaculture créatrice au Venezuela avec les Sans Terre du Brésil

Venezuela, août 2019. Loin des médias, une équipe solidaire réunie par France-Amérique Latine Bordeaux Gironde, et une Brigade internationaliste du Mouvement des Sans Terre du Brésil, organisent un atelier de permaculture. Une formation impulsée par Gloria Verges et Franck David pour appuyer la création de “Tierra Libre”, le siège du réseau de producteurs de semences autochtones établi par les Sans Terre dans le village andin de La Azulita. Deux formateurs de TERRA TV se sont mêlés aux participant(e)s pour filmer les deux derniers jours de cette expérience. Au-delà de la transmission de connaissances, c’est une rencontre humaine toute particulière que révèle et raconte leur documentaire.

Image: Víctor Hugo Rivera

Son direct: Thierry Deronne

Montage: Miguel Escalona

ProductionTerra TV, Venezuela, 2019

Durée: 53 minutes. Sous-titres français

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URL de cet article:  https://wp.me/p2ahp2-4Ze



Miguel Stedile : « au Brésil, notre défaite n’est pas électorale mais idéologique »

 

Miguel Stedile, membre de la coordination nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST).

Entretien. Miguel Stedile est membre de la coordination nationale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Six mois après l’investiture de Jair Bolsonaro, il relie les politiques du président d’extrême droite au projet du capital financier, et s’explique sur le recul de la gauche dans son pays.

Depuis le 1er janvier, Jair Bolsonaro préside le Brésil. Quel bilan dressez-vous de ces six premiers mois de mandat de l’extrême droite ?

Miguel Stedile La France et l’Europe ne doivent pas regarder Jair Bolsonaro comme s’il n’était qu’un président d’extrême droite. Il représente un projet du capitalisme financier. Ce projet était déjà en cours au Brésil. En ce sens, il n’y a pas de rupture. Le premier noyau dur à parier sur la candidature de Jair Bolsonaro est le capital financiarisé. Celui-là même qui est responsable de la crise globale. Depuis 2008, il a travaillé autour de deux idées centrales. La première est le recul des droits du travail. D’ailleurs, l’une des premières réformes de Jair Bolsonaro concerne les retraites, alors même que son prédécesseur, Michel Temer, n’était pas parvenu à la réaliser. C’est pourquoi je parle de gouvernement de continuité. Le premier noyau dur ultralibéral du gouvernement est incarné par Paulo Guedes, ministre de l’Économie. L’autre noyau important est constitué de juristes. Il a émergé avec l’opération « Lava Jato » (contre la corruption, notamment au sein de la compagnie pétrolière nationale Petrobras – NDLR). Les mesures dont a besoin le capital financier sont très impopulaires. Il est donc nécessaire de changer également l’État pour justifier la répression. C’est là qu’intervient Jair Bolsonaro. Le capital financier n’a que faire qu’il soit raciste, misogyne, homophobe. L’important pour lui est que le président réalise les réformes qu’il souhaite. La présence du juge Sergio Moro dans le gouvernement vise à changer la structure de l’État afin que celui-ci s’adapte à ce virage autoritaire. Les traits de l’extrême droite se retrouvent dans les discours, dans l’incitation à la violence, à l’intolérance. Mais l’action formelle et programmatique du gouvernement est commandée par le système financier.

Vous dites que Jair Bolsonaro doit transformer l’État pour imposer le modèle économique du capital financiarisé. Comment cela se traduit-il dans le domaine des libertés ?

Miguel Stedile Le gouvernement a présenté deux projets. Le premier voulu par le noyau financier est la réforme des retraites. L’autre, avancé par le ministre de la Justice, Sergio Moro, est l’« anti-crime ». Dans les faits, il s’agit de changer une partie des structures politiques de l’État brésilien. Par exemple, si un policier commet un assassinat et s’il le justifie par la légitime défense, il n’y aura pas de procès. Ce projet « anti-crime » confère aux policiers et aux soldats une impunité. Il en va de même pour les grands propriétaires, ainsi que les milices qui sévissent à Rio de Janeiro. Le risque de violence réside dans l’attitude d’inaction des autorités, qui laisse libre cours à la répression para-étatique.

Vous évoquiez la réforme des retraites. Quelles en sont les grandes lignes ?

Miguel Stedile Paulo Guedes a donné toute sa légitimité à la candidature de Jair Bolsonaro, dont les marchés financiers se méfiaient au départ. Il est parvenu à faire voter la réforme des retraites alors qu’elle contient des mesures impopulaires. Même la droite avait des doutes quant à la prise de risques qu’elle représentait. Désormais, les retraites ne reposeront plus sur un système par répartition mais par capitalisation. Seul le travailleur déposera des biens à la banque. Selon les économistes proches des syndicats, avec ce nouveau système, il ne recevra plus que 40 % des pensions actuelles. L’argent déposé dans les banques sera totalement disponible pour le système financier. Ce nouveau système implique que les travailleurs assument tous les risques et les banques disposent de tous les avantages.

La réforme agraire a toujours été une question épineuse au Brésil, y compris lorsque la gauche était au pouvoir. Où en est-on aujourd’hui ?

Miguel Stedile Sous le gouvernement de Dilma Rousseff, il y avait eu une grande réduction du processus de désappropriation et des « assentamentos » (zones créées par le gouvernement pour y installer des familles sans terre – NDLR). En revanche, les politiques d’infrastructures pour les paysans qui avaient conquis leurs terres, ainsi que les programmes de distribution et de commercialisation des aliments, se sont poursuivies. Sous le gouvernement de Michel Temer, il y a eu une réduction du rythme. Aujourd’hui, il n’existe plus que 20 processus de désappropriation. Ces 20 dossiers sont bloqués dans les méandres de la bureaucratie de l’État. Dans le même temps, 100 000 familles campent et luttent pour avoir une terre. Sous le mandat de Fernando Henrique Cardoso, il y avait deux ministères : celui de l’Agriculture pour l’agrobusiness et celui du Développement rural agraire pour l’agriculture paysanne, familiale. Sous le gouvernement de Michel Temer, le ministère du Développement rural a été fermé, et les secrétariats transférés vers le ministère du Développement social. Jair Bolsonaro l’a désormais totalement incorporé au ministère de l’Agrobusiness. L’agriculture paysanne est désormais subordonnée aux intérêts de l’agrobusiness et privée de ses fonctions politiques. De la même manière, les terres quilombos et indigènes se retrouvent fragilisées face à l’avancée de l’agro-négoce, qui veut faire main basse sur ces territoires pour amplifier leurs productions et leurs exportations.

Quelles menaces pèsent sur le territoire de l’Amazonie et quel pourrait être l’impact environnemental de l’implantation de multinationales ?

Miguel Stedile Le gouvernement désire changer la loi brésilienne afin que les terres frontalières où se trouvent les forces armées et qui peuvent être occupées par des Brésiliens puissent être achetées par des étrangers. Aujourd’hui, la plus grande menace pour les Indigènes et l’Amazonie, et je ne parle pas seulement de la forêt et de l’écosystème mais de la région en général, n’est pas tant l’agro-négoce que l’exploitation des minerais. Jair Bolsonaro a parlé clairement de la réserve Raposa Serra do Sol. Aujourd’hui, elle n’autorise que les activités indigènes, mais elle pourrait devenir un espace d’extraction minière.

Durant la campagne électorale, Jair Bolsonaro a menacé tous ses opposants, et singulièrement la gauche et le Mouvement des travailleurs sans terre, allant même jusqu’à vous qualifier de « terroristes ». Ces intimidations ont-elles fait l’objet d’un passage à l’acte ?

Miguel Stedile Jair Bolsonaro ne va pas promouvoir une loi qui officialise la persécution. Mais le grand propriétaire terrien qui entend ses propos comprend qu’il a le feu vert, et peut passer à l’acte. Il y a eu des attaques contre des campements. Fin 2018, avant même l’investiture de Bolsonaro, le pouvoir judiciaire a présenté des requêtes afin de déloger des camps de travailleurs sans terre. Le pouvoir judiciaire se sent porté par la vague conservatrice, la société appuie ce mouvement puisqu’elle a élu Bolsonaro. Finalement, chacun se dit qu’il n’y aura pas de représailles en cas de recours à la violence.

Comment comprendre le poids surdimensionné de l’agro-négoce dans l’économie brésilienne et, dans le même temps, l’absence de souveraineté alimentaire ?

Miguel Stedile Le médecin et géographe brésilien Josué de Castro a été président de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, FAO. Tout au long de sa vie, il a répété que la faim n’était pas liée à un phénomène géographique, mais à un problème social, politique et économique, dont les origines étaient la concentration terrienne. En la matière, le Brésil est le deuxième pays au monde le plus inégalitaire puisque 1 % des propriétaires détiennent 40 % des terres. L’agro-négoce, c’est le système financier des champs. Le MST ne lutte pas seulement en faveur de la réforme agraire, mais également pour la distribution des terres. Le concept de réforme agraire et populaire est de produire des aliments sains pour alimenter la population brésilienne. Ce que l’agro-négoce ne peut faire puisqu’il ne produit pas d’aliments : le soja et le maïs servent aux combustibles, et l’eucalyptus au papier. Ses productions, qui utilisent de grandes quantités de pesticides, vont à l’exportation. C’est là que résident les origines de la faim au Brésil : il y a beaucoup de terres cultivables mais ce ne sont pas des aliments qui y poussent. Produire des aliments sains pour la population relève d’un acte politique car le risque d’une crise de la faim structurelle est réel.

Considérez-vous que les organisations sociales, les partis de gauche sont suffisamment mobilisés face aux politiques du président Bolsonaro ?

Miguel Stedile Nous devons faire une autocritique. Notre défaite n’est pas électorale, mais idéologique. Jair Bolsonaro est soutenu par le système financier et l’agro-négoce, mais il a été élu par la population, y compris par les plus pauvres. Si nous parlons exclusivement de défaite électorale, alors il suffirait de gagner d’autres élections, et le problème serait résolu ? Pourquoi les travailleurs ont voté pour un projet qui disait très clairement qu’il allait leur retirer leurs droits au nom de la relance de l’économie ? Si les travailleurs ont donné leur consentement, c’est parce que nous sommes en échec idéologique. Le camp populaire et progressiste a cessé de dialoguer et de travailler avec la population. Beaucoup des droits conquis durant les gouvernements de Lula ont été perçus par la population comme un geste personnel du président à leur endroit. Cela a été perçu comme un mérite et non comme un choix de politiques publiques résultant des pressions des mouvements sociaux. Nous avons failli. Il nous faut reprendre le travail de base, retourner dans les périphéries pour écouter. Il faut également renouer avec l’organisation populaire. La gauche brésilienne mais également mondiale n’a pas encore trouvé les formes d’expression politiques et organisationnelles des nouvelles manifestations du monde du travail. Plus précisément, nous ne savons pas comment organiser les plus précarisés par les transformations du monde du travail. Nous devons expérimenter pour intégrer les plus précarisés dans le mouvement. Enfin, la formation politique est très importante. Il faut débattre de la réalité : la crise du capitalisme n’est pas conjoncturelle mais structurelle, je dirais même existentielle. Le nazisme et le fascisme ont été des réponses du système financier. L’issue pour le capitalisme a été le New Deal, ou encore l’état de bien-être social. Nous, nous avancions des solutions dans le socialisme. Aujourd’hui, le capitalisme n’a aucun intérêt à construire un nouveau New Deal. C’est pourquoi je parle de crise existentielle, car il se renie. Une élection ne résoudra pas la crise. Il faut expliquer et expliquer encore. Le fascisme, ce sont des réponses simples à des questions complexes. C’est pourquoi nombre de personnes y adhèrent. Nous, nous ne voulons manipuler personne. Nous devons travailler à l’élévation du niveau des consciences.



Un film sur le travail des Sans Terre au Vénézuéla: « Semences, rêves et contradictions » (Terra TV, 2019)

Il y a 13 ans un accord entre le Gouvernement de Hugo Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre a permis la présence permanente au Venezuela de formatrices et formateurs brésiliens. Au service de la souveraineté alimentaire mais aussi comme porteurs d’une expérience latino-américaine des plus importantes en matière de formation intégrale pour les mouvements sociaux. Ce travail qui ne s’est jamais arrêté malgré de nombreux obstacles bureaucratiques.

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La compagne Yirley Rodriguez (photo), formatrice et militante féministe explique: “L’école de formation internationaliste “A Namuna signifie “la semaille”. C’est le mot Warao pour dire “semaille”. Nous avons choisi un nom indigène en tant qu’école décoloniale. L’école est le produit d’expériences de formation que nous nos mouvements sociaux mènent depuis de nombreuses années, appuyés par le Mouvement des Sans Terre du Brésil et sa Brigade Internationaliste Apolonio de Carvalho qui s’est établie au Venezuela il y a 13 ans, ainsi des organisations comme “Femmes pour la vie”, “Front Culturel de Gauche”, Editions “La tranchée”, etc… Plusieurs organisations ont envoyé des compagnes et compagnons étudier dans l’école “Florestan Fernandes” au Brésil, l’école des Sans Terre, et y ont appris une méthode de formation intégrale, basée sur l’éducation populaire. Nos cours couvrent des aspects tels que l’organisation révolutionnaire, le féminisme populaire, la formation de formateurs(trices). L’école “A Namuna” part du contexte populaire, pour ne pas séparer l’étudiant de la réalité populaire dans laquelle il ou elle est immergé(e), pour qu’il la vive, collectivement, pour mettre à jour les contradictions, les problématiser et pour que les étudiants cherchent à les dépasser à travers l’organisation sociale. Notamment en construisant des relations de production socialistes et féministes. C’est pourquoi nous avons organisé cet atelier dans le cadre d’une prise de terres de commune El Maizal.”

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Une des méthodes apportées par le Mouvement des Sans Terre est la « Ciranda ». Une équipe formée par les étudiant(e)s s’occupe des enfants pour que les femmes qui sont mères puissent participer pleinement au cours. A ce moment prendre soin des enfants des travailleuses devient les enfants devient une responsabilité de tout le collectif du cours.

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C’est sur l’espace d’une prise de terre par la Commune El Maizal que le cours est organisé, pour mieux marier étude théorique et apprentissage pratique, pour maintenir le concept d’une pédagogie liant l’étude à l’immersion dans la réalité populaire. Chaque sous-groupe étudiant apprend avec les habitants un aspect différent du travail, traire les vaches, réparer des outils, cuisiner, cultiver les parcelles… C’est une autre caractéristique de la pédagogie politique des Sans Terre.

Réalisation: Yarumi Gonzalez.

Montage: Miguel Escalona.

Production: Terra TV.

République Bolivarienne du Venezuela 2019.

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Caquetios, une école en construction

Grâce aux accords de coopération signés entre le président Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans Terre, une équipe du Brésil participe depuis 11 ans aux efforts de production et de formation agricoles de la révolution bolivarienne, au Venezuela. L’école de Caquetios, dans l’état de Lara (ouest du pays), en est un exemple. Ces anciens haras entourés de champs de canne à sucre, expropriés à la bourgeoisie locale par Hugo Chavez, sont aujourd’hui un espace consacré à la formation intégrale des mouvements sociaux, notamment en agroécologie, et à la production et distribution de semences autochtones.

Ce court-métrage est le fruit de cinq jours d’atelier de réalisation documentaire donné par l’École Populaire et Latino-américaine de Cinéma, Télévision et Théâtre (EPLACITE) à une vingtaine de membres de collectifs sociaux, à Caquetios, du 6 au 11 août 2017, avec l’appui du Mouvement des Sans Terre (MST) et de France-Amérique Latine Bordeaux-Gironde (FAL 33).

 

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