mouvementsansterre


(Vidéo VO ST FR:) Atelier audiovisuel des Sans Terre du Brésil pour les communard(e)s du Venezuela

En mars 2023 l’École de Communication des Mouvements Sociaux « Hugo Chávez » a invité Maria da Silva du Mouvement des Sans Terre du Brésil à donner un atelier de formation audiovisuelle à 15 communard(e)s vénézuélien(ne)s.

Dans le but de renforcer une méthode originale de pratiquer la communication communarde, des exercices visuels et sonores ont été réalisés pour comprendre, observer et composer des images et des sons à partir des réalités concrètes des communes. Un espace de réflexion et de dialogue constant s’est créé sur la nécessité de construire un imaginaire audiovisuel endogène qui concentre toute la force expressive de la commune.

Production et montage : Victor Hugo Rivera. Production : Terra TV. République bolivarienne du Venezuela, 2023.

URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2023/04/11/video-vo-st-fr-atelier-audiovisuel-des-sans-terre-du-bresil-pour-les-communardes-du-venezuela/



La praxis théâtrale du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) – Brésil, par Douglas Estevam

L’une des expériences qui a peut-être le plus profondément exploré la relation organique entre théâtre, organisation sociale et lutte des classes au Brésil est celle menée par la Brigade nationale de théâtre “Patativa do Assaré”, du Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST). Ce sont des dizaines de groupes qui se sont organisés dans tout le pays au cours de deux décennies d’action théâtrale, mises en œuvre par un mouvement paysan présent dans la quasi-totalité du pays. Ce travail est le fruit d’un processus de formation qui a impliqué des centaines de paysans, a pu compter sur la collaboration d’artistes professionnels du Brésil et de l’étranger et a abouti à la production de dizaines de pièces de théâtre, de poèmes, de films et de chansons parmi de nombreuses autres formes d’interventions artistiques.

La pratique théâtrale du MST est étroitement liée aux modes d’organisation et aux formulations du projet de société élaborés par le mouvement tout au long de ses années d’existence. Une pratique dans laquelle la lutte sociale, l’organisation populaire, la recherche esthétique, la formation et la politique culturelle sont intimement liées, se complètent et s’influencent mutuellement dans l’accomplissement de ce qui est considéré comme l’un des plus grands mouvements sociaux d’Amérique latine.

Le mouvement des travailleurs ruraux sans terre

Le Mouvement des travailleurs ruraux sans terre (MST) est né des occupations de terres realisé en 1979 pendant la dictature militaire brésilienne (1964-1985). Il a été officiellement fondé en 1984. Depuis lors, les occupations de terres organisées par le MST, qui ont rassemblé des centaines et parfois des milliers de familles, se sont étendues à pratiquement tout le pays et aujourd’hui, quelque 300 000 familles ont accédé à la terre grâce à ces occupations. Des dizaines de milliers d’autres qui vivent encore dans des campements, avec celles (les familles) déjà instalées (assentadas), constituent la base sociale du mouvement.

L’émergence et la formation du MST s’inscrivent dans le contexte historique de la fin des années 1970, qui a vu la naissance de nouvelles forces sociales et de mouvements populaires au Brésil. Parmi les mouvements les plus importants de cette période figurent les différents syndicats qui ont cherché à s’affranchir de l’État dictatorial et ont formé la Central Única dos Trabalhadores (CUT) ; le réseau large et varié des Comunidades Eclesiais de Base (Communautés ecclésiales de base) liées à l’Église progressiste fondée sur la Théologie de la libération ; les nouvelles organisations indigènes, également renforcées par l’action de l’Église ; et, comme résultat de la convergence de toutes ces expériences sociales et organisationnelles, le Partido dos Trabalhadores (PT). L’inventivité politique de ces années-là a permis la naissance du MST, une organisation paysanne qui affronte l’une des questions structurelles de la formation sociale brésilienne : la concentration de la terre et la grande masse de personnes historiquement exclues de l’accès à la terre, les premiers étant les peuples indigènes et les millions de personnes réduites en esclavages amenées d’Afrique. L’origine des inégalités sociales abyssales qui persistent aujourd’hui dans le pays, ainsi que la culture autoritaire et violente qui caractérise sa politique et sa sociabilité, trouvent leur origine dans la formation coloniale et esclavagiste du Brésil. La concentration des terres était le pilier de cette économie et détermine encore, dans une large mesure, la place qu’occupe le pays dans l’économie internationale.

Une invention organisationnelle

Pour mieux comprendre, dans son ampleur et sa complexité, le sens et la portée de l’action théâtrale développée par le MST, il faut prendre en compte l’innovation et les fondements de sa conception de l’organisation sociale. Avant de passer à la présentation et à l’analyse des pratiques théâtrales du MST, nous allons brièvement souligner certains éléments de cette conception de l’organisation qui aideront à mieux comprendre le sens de la pratique théâtrale et de l’action culturelle du mouvement.

Le MST fonde son projet de réforme agraire et de société sur l’accès à la terre, l’élimination des injustices sociales et le dépassement du mode de production capitaliste, en se référant à la tradition large et diverse du socialisme. L’un des éléments de base du programme organisationnel élaboré pour atteindre ces objectifs est la formation complète, intégrale et “omnilatérale” de l’être humain. Le processus d’organisation et d’auto-organisation des travailleurs est la première étape de la mise en œuvre du projet du MST. Il se met en place dans les processus d’occupation, ces dernières sont organisées en noyaux de base, en cellules organisationnelles auxquelles chacun doit participer et à partir desquelles les décisions sont prises collectivement. À partir de cette structure organisationnelle de base, le processus de coordination politique s’étend pour inclure une coordination au niveau de l’État et du pays. Le fruit de ce processus de mobilisation est également l’organisation de secteurs, parmi lesquels nous pouvons citer ceux de la production, de l’éducation, de la communication, de la formation politique, du genre et de la culture, dans lesquels tout le monde doit également être impliqué. Cette structure organisationnelle vise à offrir le plus grand accès et la plus grande participation possible à la prise de décision et au développement des projets politiques.

Selon la définition du MST, le processus d’organisation est le principal moyen de formation humaine, de développement de formes de conscience sociale et de transformation subjective. En analysant et en systématisant les expériences de ces années de construction et d’expérimentation, le MST a formulé une pédagogie du Mouvement des Sans Terre, composée de “matrices” qui forment l’être humain. L’idée a été développée que le principal moyen de formation des membres du mouvement était le mouvement lui-même, à travers la lutte et l’organisation. La dimension pédagogique du Mouvement est basée sur des « matrices formatives », dont les principales sont la lutte, l’organisation, l’histoire, la terre et la culture. La culture est apparue comme un élément structurel pour un projet de société et d’organisation politique, pas seulement une question thématique, mais l’un des fondements de la conception même de l’organisation et de la formation humaine, lié aux processus de la lutte des classes.

Précédents de l’action théâtrale du MST

L’une des expériences culturelles, politiques et esthétiques les plus originales du MST est la “mística”. Issue d’une large tradition latino-américaine, développée par la théologie de la libération et par les communautés ecclésiales de base, la mística a acquis un caractère séculier dans le MST. Difficile à définir, la mística est la tentative d’offrir une expérience sensible liée au projet de société du Mouvement. Une de ses formes de matérialisation sont les interventions esthétiques, une sorte de performance ou de théâtralité, réalisées et organisées par les membres du Mouvement eux-mêmes dans diverses situations. Ces interventions esthétiques ont lieu, par exemple, à l’ouverture des réunions, des rencontres, des congrès, au début des activités scolaires et de formation, des marches, mais aussi dans les occupations et les assentamentos1. Parmi ses éléments formels les plus variés, on peut citer les chansons, la mise en scène, les décors, les costumes, les poèmes, les dramatisations, les chœurs, les projections, etc. La “mística” cherche à offrir une expérience sensible et subjective du projet de société, de l’histoire et d’une perspective d’avenir, en créant un champ d’action et d’expérience au-delà des pratiques discursives ou exclusivement conceptuelles.

La formation de la Brigade national de théâtre “Patativa do Assaré”

L’expérience théâtrale développée par le MST a comme moment décisif la formation de la Brigada Nacional de Teatro Patativa do Assaré, créée en 2001 et qui en est à sa vingtième année. La Brigade a été constituée lors de la deuxième phase de formation avec Augusto Boal et les membres du Centre pour le Théâtre de l’Opprimé (CTO) – RJ. Des dizaines de militants du MST issus de différents secteurs, tels que l’éducation, la formation politique et la culture, ont participé aux travaux et avaient pour tâche de créer des groupes dans les différents États dont ils étaient originaires et où ils travaillaient. C’est ainsi qu’a commencé la multiplication des troupes de théâtre dans tout le pays.

Bien qu’elle représente une étape décisive, les expériences théâtrales du MST et sa relation avec Boal n’ont pas commencé avec la consolidation de la Brigade nationale de théâtre. Outre les liens avec la mística elle-même, comme nous l’avons vu précédemment, un autre exemple significatif est l’expérience qui s’est déroulée une décennie plus tôt, à Rio de Janeiro, lorsqu’en 1990 le groupe du Théâtre Paysan a été créé dans l’occupation de Sol da Manhã. Augusto Boal venait de rentrer de son exil et commençait ses expériences de théâtre législatif, une des formes du théâtre de l’opprimé qu’il a développé après son retour au pays. Boal a établi un contact avec ce groupe, qui a rapidement fait partie des collectifs qui ont travaillé autour du mandat de conseiller municipal à Rio de Janeiro de Boal. L’expérience a duré environ huit ans.

La Brigada Nacional s’est structurée à partir ce travail continu avec Augusto Boal, qui lui a permis un saut qualitatif en matière de production, d’organisation et de formation par rapport à toutes les expériences théâtrales précédentes du Mouvement. Il y a eu cinq étapes au cours desquelles certaines techniques du théâtre de l’opprimé ont été travaillées, parmi lesquelles le théâtre forum (le plus pratiqué), le théâtre-journal, “l’arc-en-ciel du désir2” et, lors de la dernière réunion tenue en 2005, la création d’un théâtre de procession qui a compté avec la participation d’environ 270 militants du MST. Les techniques du théâtre de l’opprimé ont été utilisées dans les campements, les assentamentos, les écoles et, à la suite de ce travail, divers groupes ont été formés. A chaque nouvelle étape avec Boal, les processus développés, la production des groupes organisés, les limites et les nouvelles demandes ont été évalués. L’organisation de la Brigada a permis un dialogue entre les groupes, des échanges d’expériences et de productions, des actions communes, un suivi des travaux et des formations complémentaires.

Les productions, en particulier celles utilisant les techniques du théâtre forum, ont permis d’aborder des questions qui n’étaient pas abordées dans d’autres instances du MST. Ainsi, des questions essentielles telles que le racisme et le genre pouvaient être largement débattues par le biais du théâtre. Les processus du théâtre-image ont commencé à être utilisés dans les écoles comme moyen d’évaluation du processus éducatif, des enseignants et des coordinations scolaires, offrant d’autres formes de dialogue sur l’accompagnement pédagogique. Dans les occupations, les thèmes liés au pouvoir, au personnalisme ou à d’autres limites organisationnelles et politiques étaient également des thèmes de forums.

Dramaturgie et interventions

Dans le domaine de la dramaturgie, on trouve des pièces produites par les paysans eux-mêmes, qui traitent des thèmes de leur conjoncture politique et des problèmes de la vie quotidienne, du travail, des questions de genre, du racisme, entre autres3. La question de l’économie internationale, guidée par les négociations de libre-échange qui ont défini le débat politique dans ces premières années de la relation entre Augusto Boal et le MST, apparaît dans plusieurs pièces. Boal a suivi de près les pièces produites et a contribué à la révision dramaturgique ainsi qu’aux processus de mise en scène, consacrant une attention particulière à la construction des accessoires, des costumes et de la scénographie. Certaines des pièces de Boal ont été reprises, comme Não tem imperialismo no Brasil, adaptée par le MST sous le nom de Paga Zé.

Des adaptations de dramaturges brésiliens et étrangers ont également été réalisées. Dans l’État de Rio Grande do Sul, dans le cadre d’implantations réalisées sur des terres où, au XVIIIe siècle, se sont déroulées les guerres guaranis, impliquant des Indiens guaranis menés par Sepé Tiaraju contre la domination espagnole, le groupe Peça pro Povo a adapté le texte Morte aos brancos (Mort aux Blancs), écrit par Cesar Vieira, un dramaturge brésilien historique ayant plus de cinquante ans d’expérience. L’œuvre a bénéficié de la collaboration d’un important groupe de théâtre de rue brésilien, Ói Nóis aqui Traveiz. Le langage esthétique des scènes de rue, la musicalité, la construction des costumes et des accessoires, ont caractérisé cette adaptation.

Le groupe SP Filhos da Mãe… Terra a adapté la pièce Por esos santos latifundios, une pièce du dramaturge colombien Guilherme Maldonado Pérez qui traite des luttes pour la terre menées par les indigènes et les paysans en Colombie. Cette pièce, probablement présentée pour la première fois au Brésil par le MST, a été récompensée par la Maison des Amériques de Cuba en 1975, dans le cadre du concours de dramaturgie latino-américaine promu par le centre culturel cubain de référence continentale. La pièce a été jouée par le groupe au Teatro de Arena, le lieu historique où Boal avait commencé ses activités dans les années 1950.

Outre le théâtre forum, diverses autres formes de théâtre de l’opprimé ont été développées par le MST. Les techniques de théâtre invisible ont été utilisées de manière large et diversifiée, les interventions ayant lieu dans les bus, les trains, sur les bancs et même dans les propres espaces du MST, comme dans les cours ou les réunions. Une intervention de théâtre invisible a eu lieu lors d’une réunion avec des parlementaires à la Chambre législative du gouvernement fédéral, pour discuter des questions de réforme agraire. Cette intervention a influencé les thèmes des débats ultérieurs. Des interventions ont également eu lieu lors de réunions d’associations agroalimentaires, comme celles realisées pendant la conférence RJ+20, organisée par l’UNESCO à Rio de Janeiro. Le travail avec le théâtre-journal) a également été utilisé à plusieurs reprises et par différents groupes.

La plus grande expérience théâtrale du MST a été conçue avec Augusto Boal lors de la dernière réunion de formation en 2005. Il s’agit d’une intervention de théâtre processionnel à laquelle ont participé 270 militants du MST venus de tout le Brésil. La pièce a été présentée à l’arrivée de la Marche nationale du MST à Brasília, qui s’est tenue la même année, une marche qui a rassemblé 12 000 membres du MST. Outre une procession, des dizaines d’autres pièces faisant partie du répertoire de la Brigada ont été jouées par les groupes pendant les vingt et un jours qu’a duré la marche. Après avoir marché le matin, en moyenne quinze kilomètres, les marcheurs ont participé à des processus d’étude et de formation l’après-midi. Les pièces de théâtre faisaient partie de ces processus de formation. Il en a été de même lors du congrès 2007 du MST, qui a rassemblé dix-sept mille personnes et au cours duquel plusieurs pièces de théâtre ont été représentées.

Les réunions de formation avec le CTO et Augusto Boal ont été combinées avec l’étude d’autres références théâtrales, principalement l’histoire du théâtre politique et la théorie des genres littéraires. La professeure Iná Camargo Costa, de l’Université de São Paulo – USP, principal chercheur sur le sujet au Brésil, a été un conseiller permanent dans ce processus. Reprenant la tradition du théâtre politique brésilien, dont les relations établies entre les artistes et les forces sociales progressistes ont donné lieu à l’un des meilleurs moments d’expérimentation formelle et d’invention esthétique, le MST a pris comme l’une de ses références paradigmatiques les expériences des Centres de culture populaire (Centros Populares de Cultura – CPC) et du Mouvement de culture populaire (Movimento de Cultura Popular – MCP), ce dernier comptant sur la participation de Paulo Freire.

Augusto Boal lui-même avait développé un important travail avec les innombrables CPC répartis dans tout le pays et avec le MCP, jusqu’au coup d’État de 1964, lorsque ces organisations culturelles ont été détruites par l’armée en raison de leurs liens étroits avec les mouvements ouvriers et étudiants. Les Ligues paysannes, une importante organisation paysanne de cette période, dont le MST s’inspire, ont établi une importante relation de travail avec les CPC, le PCM MCP et Boal. Le travail développé entre le MST et Augusto Boal avait aussi cette dimension symbolique de reprise d’une expérience modèle commencée dans les années 60 et interrompue par la dictature militaire. Boal a toujours mentionné l’importance de cette expérience historique lors de ses rencontres avec le MST.

L’une des œuvres les plus symboliques de ce renouveau a été la mise en scène par le MST de la pièce Mutirão em Novo Sol, une pièce de Nelson Xavier et Augusto Boal, écrite en 1961 et présentée la même année au premier congrès national des paysans du(?) (dans le département de) Minas Gerais. Le texte a disparu pendant une cinquantaine d’années. Le MST a réussi à récupérer le texte, à le publier et à produire une mise en scène présentée lors de la Rencontre unie des travailleurs, des travailleuses et des peuples des champs, des eaux et des forêts, qui s’est tenue en 2012, lors d’une présentation devant 5 000 personnes. Ce texte a également été travaillé dans plusieurs écoles MST, a fait l’objet d’une version radiophonique et d’un documentaire.

Recherche formelle

La nécessité d’approfondir les questions formelles est venue de la pratique elle-même avec les diverses formes d’interventions menées par les membres du mouvement. Au début de la “Brigade”, les militants impliqués dans la création des interventions ont fait état de difficultés avec le référentiel formel jusqu’alors principalement constitué autour de certaines techniques du théâtre forum. Un large processus d’études et de recherches s’est ensuite développé sur les structures dramaturgiques et les expériences formelles réalisées dans la tradition du théâtre politique, l’analyse des conceptions du théâtre épique, la compréhension de la dimension historique et sociale de la forme, l’analyse critique des implications de la forme dramatique et de la portée et de l’impact de l’industrie culturelle, thèmes qui ont constitué un ensemble de fondements théoriques permettant d’approfondir les pratiques théâtrales dans leur multiplicité.

Il convient de noter que les analyses de l’esthétique, des dimensions sociales et idéologiques des formes artistiques et de la dialectique entre la forme et le processus social sont devenues partie intégrante du programme d’étude du secteur culturel du MST dans son ensemble. Ainsi, tant dans les arts plastiques que dans la musique et la littérature, mais aussi dans la production audiovisuelle du MST, les recherches ont été menées avec la même orientation, et la convergence et le travail conjoint entre les différents fronts artistiques qui composent le secteur culturel du MST ont permis une accumulation collective de savoir. Les débats sur l’esthétique se sont étendus à l’ensemble du MST et ont commencé à englober non seulement les expériences artistiques mais aussi diverses autres dimensions formelles de l’action directe, les processus d’organisation et de formation, les activités éducatives dans les écoles, etc.

La présence de la théorie et des œuvres de Brecht dans le mouvement a également contribué à la formation des conceptions esthétiques et culturelles du MST. Les œuvres de Hanns Eisler, le partenaire musical de Brecht, ont également influencé le MST et ses musiciens. Certains groupes ont adapté, mis en scène et travaillé avec le matériel du dramaturge allemand. À São Paulo, il y a eu une adaptationdes Horaces et des Curiaces, et à Brasília une adaptation du Cercle de craie caucasien. La Companhia do Latão, l’une des principales troupes de théâtre du Brésil, a monté une mise en scène du Cercle de craie caucasien dont le prologue a été enregistré avec la troupe de théâtre de l´assentamento Carlos Lamarca à São Paulo.

Les pièces didactiques de Brecht ont fourni un modèle de travail productif. La proposition d’expériences de formation avec les participants eux-mêmes par le biais du théâtre a été largement ecxercée. La pièce Sainte-Jeanne des Abattoirs a été utilisée à plusieurs reprises dans des cours d’économie politique utilisant les méthodes d’enseignement de Brecht. À une occasion, cette expérience a été réalisée dans le cadre d’un cours avec des représentants de divers (environ 20 pays) pays d’Amérique latine. La pièce La Décision a été travaillée à différents moments avec les membres d’un cours de base qui a duré six mois, traitant des contradictions internes du militantisme. D’autres expériences ont été faites avec Celui qui dit oui et aussi avec la pièce Le Commerce du pain.

Défis historiques

Les événements politiques les plus récents au Brésil ont profondément affecté le champ d’action des mouvements sociaux et ont également eu des impacts sur leur production culturelle. Les mobilisations d’extrême droite qui ont débuté en 2013 et ont été suivies de processus juridiques et parlementaires ont abouti à l’éviction de la présidente Dilma et à l’emprisonnement consécutif de Lula. Les thèmes de la guerre culturelle et du marxisme culturel, la menace d’une nouvelle intervention militaire et la présence dans les rues de secteurs d’extrême droite, certains ayant des orientations néo-fascistes, ont gagné en légitimité dans le débat politique et ont remodelé l’histoire politique et culturelle qui s’était constituée depuis les années 1980 avec la fin de la dictature.

Dans ce contexte historique, le MST a étendu son action théâtrale d’interventions d’agit-prop et de formation dans le domaine de la culture et du débat esthétique. Les expériences et les recherches sur les formes d’agitation et de propagande qui avaient été développées depuis les premières années de la Brigade ont pris une plus grande importance. Outre les recherches sur les traditions brésiliennes, celles sur les traditions de l’agitprop allemand, soviétique, français et américain, entre autres, développées entre les années 20 et 30 du siècle dernier, ont constitué une importante collection de références du lien entre les avant-gardes artistiques et les mouvements sociaux.

Depuis 2013, des dizaines de brigades d’agit-prop ont été formées, dans le cadre de processus de formation impliquant des centaines de personnes qui ont pris part aux différentes manifestations dans le pays au cours de cette période récente. Le MST a réussi à approfondir son travail conjoint avec les organisations urbaines, les syndicats et les mouvements étudiants, principalement le Soulèvement Populaire de la jeunesse (Levante Popular de Juventud). L’expérience du MST dans le domaine théâtral et culturel est devenue une référence pour d’autres organisations populaires.

Au cours de la même période, il y a également eu un développement important des écoles de théâtre politique et de vidéo populaire, auxquelles le MST participe en tant qu’un des organisateurs. Ces écoles s’inspirent du Frente de Trabajadores de la Cultura de Nuestra América, fondé au début des années 1970 par Augusto Boal, Enrique Buenaventura (Colombie), Atahualpa del Cioppo (Uruguay) et d’autres grands noms du théâtre latino-américain. Il y a actuellement neuf écoles qui fonctionnent au Brésil, en Argentine, avec des connexions au Mexique, en Uruguay et en Espagne, qui articulent mouvements sociaux, groupes de théâtre professionnels et universités. Ces écoles ont également joué un rôle important dans la situation politique récente.

L’action théâtrale développée par le MST, en particulier au cours des vingt dernières années avec la Brigada Nacional de Teatro Patativa do Assaré, constitue une expérience de grande importance pour avoir fait en sorte que des centaines de paysans, dans leur processus d’organisation et de lutte pour la réforme agraire, intègrent l’art et la culture comme partie intégrante de leurs conquêtes et de leurs projets de société, devenant également les créateurs de diverses formes théâtrales et interventions scéniques. Une appropriation de la tradition théâtrale qui dépassait le concept d’œuvre fermée, établissait des contacts avec des secteurs de la population historiquement privés d’accès aux biens culturels traditionnels, stimulait chez les travailleurs une profonde réflexion sur les dimensions esthétiques et culturelles de leurs luttes et de leur existence, et contribuait à l’approfondissement et au développement de la culture politique émancipatrice proposée par le MST.

L’auteur : Douglas Estevam est membre du Collectif National de Culture du MST et de la coordination nationale du Frente de Teatro Patativa do Assaré – MST. Il a travaillé avec Augusto Boal dans le processus de formation que le CTO a entrepris avec le MST.

Notes :

1 Il est utile de distinguer les « ocupações » des « assentamentos ». Une ocupação est une occupation donc un territoire en lutte pour savoir si il sera ou pas exproprié pour la réforme agraire. Le cadre juridique actuel de la Réforma Agraire a été établi dans la Constitution de 1988, sur la base d’accords sociaux signés après la fin de la dictature. Le MST fonde son action sur la constitution brésilienne. Un assentamento est une occupation réussie, qui a éte juridiquement reconnu para l´État selon la Constitution, et les propriétaires légaux sont les anciens occupants qui vont s’organiser selon différentes formes (« scop » ou pas) pour y produire et organiser l´ensemble de la vie sociale avec des écoles, centre culturels, centre de santé, etc.

2Voir Augusto Boal, Jeux pour acteurs et non-acteurs. Pratique du Théâtre de l’opprimé,Paris, La découverte, 2004 ; Augusto Boal,L’Arc-en-ciel du désir. Du théâtre expérimental à la thérapie, Paris, La Découverte, 2002.

3 On peut avoir un aperçu de la prodution dramaturgique du MST dans les deux volumes du livre Teatro e transformaçao social (Théâtre et transformation sociale), publié en 2006. Organisé en pièces de théâtre forum, théatre épique et agitprop, le deux volumes rassemble 19 pièces.

URL de cet article : https://mouvementsansterre.wordpress.com/2023/01/16/la-praxis-theatrale-du-mouvement-des-travailleurs-ruraux-sans-terre-mst-bresil-par-douglas-estevam/



Le collectif, une autre idée de la révolution, par Florence Poznanski
L'art et l'alimentation au service de la révolution © Brooke PorterL’art et l’alimentation au service de la révolution © Brooke Porter

En ces temps de crise sanitaire et économique la place de l’humain prend une autre dimension. « Solidarité », « résilience », « prendre soin de l’autre », ces mots sont aujourd’hui sur toutes les bouches, y compris celles qui, il y a encore quelques mois, priorisaient davantage l’épanouissement individuel à celui du collectif. Si la perte des êtres chers et la préoccupation pour sa propre survie sont des traumatismes assez forts pour nous faire prendre conscience de l’indéfectible lien qui nous relie à la collectivité, cette solidarité ne peut être invoquée seulement par temps de crise, comme d’aucuns en appellent à l’intervention de l’État pour répondre aux problèmes économiques.

Cette crise doit nous interroger profondément sur notre relation au collectif, tant au niveau des politiques publiques et des services publics, qu’à l’échelle des organisations associatives ou locales auxquelles on peut appartenir. Penser le collectif, ce n’est pas mettre ensemble des individus, mais s’intéresser à ce qui les rassemble jusqu’à ce que le commun les transcende. En ce sens, les organisations (y compris celles qui mettent en avant l’humain et la collectivité) ont aussi un travail à mener pour sortir d’une approche parfois uniquement rationnelle et programmatique et la traduire dans la pratique quotidienne.

De retour d’un séjour de deux semaines avec les femmes militantes du mouvement des travailleurs et travailleuses sans terre (MST) au Brésil, je souhaite m’attarder ici sur la description de son organisation, comme une source d’inspiration mondiale à tous ceux qui s’intéressent aux moyens de transformer radicalement la société.

Le MST n’est pas le seul exemple. L’Amérique latine est pour nous ce terreau vivant d’expériences révolutionnaires comme celle des communes au Venezuela, des « caracoles » du mouvement zapatiste du Chiapas au Mexique, entre autres. Mondialement connu pour sa lutte pour la réforme agraire populaire comme fondement d’un projet politique révolutionnaire d’inspiration socialiste au Brésil, le MST est certainement le mouvement social le plus puissant d’Amérique latine, si ce n’est l’un des plus importants au monde. Il puise sa puissance dans une organisation exigeante et généreuse qui applique à tous ses niveaux la primauté du collectif et la valorisation du vivre ensemble.

Florence Poznanski, activiste, secrétaire nationale du Parti de Gauche/France Insoumise, Belo Horizonte – Brésil
@FLORENCEPOZ FLOR.POZNANSKI

Réforme agraire, graine de révolution

Le MST est un mouvement de paysans brésiliens qui luttent pour une réforme agraire populaire, c’est à dire l’abolition de la propriété privée et du latifundium et une distribution égalitaire de la terre comme source essentielle de travail et subsistance. Il naît des luttes paysannes de résistance au sortir de la dictature militaire à la fin des années 70 et s’inspire d’un vaste héritage de luttes, révoltes et victoires populaires éliminées de l’histoire officielle nationale comme la résistance des esclaves, des peuples autochtones ou les luttes des travailleurs pauvres contre l’oppression depuis l’époque de la colonisation. Son activité principale porte sur la mobilisation de plusieurs centaines de milliers de paysans pour l’occupation et l’organisation de campements de production agricole autonomes.

Dans son programme, la réforme agraire n’est pas qu’une politique publique à mettre en œuvre, mais la base d’un autre projet de civilisation qui inverse les rapports de pouvoir. Car posséder la terre, le territoire, c’est décider qui en sont exclus et qui pourront en tirer profit. Le MST se base ainsi sur une historiographie de l’organisation politique de la terre au fil des différents régimes latino-américains (colonies, républiques bourgeoises, dictatures) pour étudier les soulèvements populaires d’indépendance que le continent à connu.

Il construit son action nationale mais aussi internationale, dans le but de renforcer ces soulèvements populaires qu’ils soient locaux comme l’occupation d’une parcelle de terre improductive ou à l’échelle d’un pays comme substrat d’une révolution citoyenne. L’organisation collective est donc consubstantielle de son fondement, non seulement dans les principes du projet de société qu’il construit, mais aussi au quotidien. Pour cela, il se base sur une méthodologie d’organisation qui met en avant la formation militante, l’auto-organisation et une culture collective du vivre ensemble.

L’individu et le collectif

Il est facile de penser que le collectif serait l’annulation de l’individu. Il est plus approprié de dire que le collectif est l’annulation des privilèges qui éloignent l’individu du collectif. C’est à partir du moment où l’individu cesse de considérer l’annulation de ses privilèges comme une privation, mais bien comme une satisfaction de les mettre en commun, que sa place dans le collectif prend sens. Sa force ne dépend alors plus simplement de lui, mais de la richesse du collectif auquel il a lui-même contribué.

Parce que le mouvement doit en permanence compter sur son auto-organisation pour bâtir et entretenir ses équipements, organiser ses campements, cultiver et distribuer sa production agricole, élaborer et diffuser ses idées ou encore assurer sa sécurité, le partage des tâches au sein du collectif est essentiel. Elle commence à l’échelle des campements qui rassemblent chacun plusieurs centaines de personnes issues des classes les plus populaires : travailleurs agricoles exploités ou habitants des périphéries urbaines sans logement. On s’y organise pour construire son logement, planter la terre, éduquer les enfants, soigner les malades et défendre le campement sous la menace permanente des milices, de la police ou de la justice. Bien souvent l’État n’y assure qu’un rôle répressif ou n’offre que des services publics précaires. Le mouvement doit donc gérer l’organisation de A à Z d’une collectivité qui repose sur la participation de chacun et une exigeante discipline. Bien-sûr, cette organisation ne se fait pas sans difficultés ni conflits. Là encore c’est au niveau du collectif que les solutions sont à trouver, via de nombreuses réunions de délibération collective.

Une autre vision du pouvoir

Le campement du MST "Marielle Franco" près de São Paulo © Brooke PorterLe campement du MST « Marielle Franco » près de São Paulo © Brooke Porter

La construction de cette collectivité vise en fin de compte la naissance d’une autre forme de pouvoir : le pouvoir populaire. Un pouvoir qui ne s’exercerait plus par la domination mais par la mise en commun et le partage. Et l’organisation de ces collectifs en quête de toujours plus d’autonomie visent à substituer toute forme de domination ou de dépendance par une action collective : la domination du travail et la dépendance alimentaire par l’organisation de coopératives agricoles, la domination idéologique et culturelle par l’organisation militante.

Attaché à rétablir l’héritage de siècles de résistances populaires, il est une autre dépendance contemporaine à laquelle le MST s’applique aussi à s’émanciper c’est celle de notre propre corps. Cela commence par la promotion d’une vie saine sans pesticides avec sa capacité à alimenter le plus grand nombre avec ses produits issus de l’agroécologie1. Mais la réflexion va encore plus loin.

Alors que la société mondiale ne sait plus se soigner sans les médicaments de l’industrie pharmaceutique et que dans la plupart des pays comme le Brésil, la santé n’est pas un droit mais une marchandise, le MST s’applique à réintégrer la médecine populaire traditionnelle par les plantes. La formation des professionnels de santé est basée sur une réappropriation holistique du rapport aux besoins et aux carences du corps pour sortir du réflexe symptômes/médicaments. Sans pour autant rejeter la médecine conventionnelle, le travail des médecins populaires vise à assurer une santé de base gratuite au plus grand nombre et contribue aussi à montrer que la transformation des rapports sociaux passe aussi par la prise en compte collective de la santé corporelle et mentale des individus, dimension négligée par la plupart des organisations.

La place de l’humain et du symbolique

l'art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porterl’art et la culture dans les événements du MST © Brooke Porter

Tout cette organisation prend du temps et ne s’achève en fin de compte jamais. Un temps qui n’est pas gâché, qui n’a pas moins d’importance que les moments de réflexion politique ou de débats de conjoncture, puisque c’est le temps de la réalisation, le temps de la vie. Cette approche est un des fondements de l’éducation populaire qui inscrit la formation du sujet politique dans sa propre trajectoire de vie. Organiser le mouvement est donc un accomplissement politique en soi. Et puisqu’il fait partie de la vie il est aussi traversé d’émotion, d’identification. Il ne faut pas penser uniquement à distribuer des tâches, mais aussi accorder le temps nécessaire dans l’organisation à l’expérience du vivre ensemble.

La célébration ne se vit pas en creux de l’action politique, dans les moments de temps libre informels, mais comme un des moteurs qui donnent du sens à cette action. Dans les activités du MST on chante, on joue de la musique, on récite des poésies, on peint et on crée. On y raconte les peurs des paysans, les tranche de vie des femmes face aux violences domestiques, on se rappelle des victoires des luttes passées, on rend hommage à ceux et celles qui sont tombées. L’art et la culture populaire prennent ainsi tout leur sens politique pour faire des valeurs scandées dans les mots d’ordre du mouvement quelque chose d’intime, de réel. Cet attachement s’insère aussi dans une stratégie politique claire de contrer la domination idéologique véhiculée par l’industrie culturelle de masse au service du capitalisme.

En alliant actions de transformations concrètes, valorisation de la vie par l’alimentation saine et le collectif et en utilisant l’art et la culture comme vecteur de mobilisation militante, l’action politique du MST a quelque chose de profondément transformateur ou bien tout simplement révolutionnaire.

Notes :

1Le MST est aujourd’hui le premier producteur de riz biologique au Brésil.

Source : https://blogs.mediapart.fr/florence-poznanski/blog/020520/le-collectif-une-autre-idee-de-la-revolution

URL de cet article : https://wp.me/p27hZR-yJ



L’histoire des sans terre : L’école Florestan Fernandes 1/6

Fernandes 1/6

Florestan FernandesL’Ecole Florestan Fernandes

Nous voudrions consacrer quelques posts au mouvement des paysans sans terre, plus connu sous ses abréviations MST.
Nous avions découvert leurs réalités il y a 7 et 12 ans lors de précédents voyages au Brésil. Nous avions alors vu de nos yeux ce que veut dire « occupation des terres » dans un campement fraîchement installé où nous avions passé une journée (un des posts  d’alors reprendra cela ici); découvert la première attribution au Brésil d’une terre à des paysans, la Copavi, dans le Parana,  et l’école Milton Santos. Cette expérience a été la source de notre engagement au CCFD-terre solidaire par la suite.

Dans ce premier post, nous voudrions vous parler de l’université Florestan Fernandes que nous avions visitée  avec beaucoup d´émotion. Émotion parce nous constatons combien sont encore vivaces les premières rencontres avec le MST en 2007, mais aussi émotion de pouvoir partager par le dedans une nouvelle fois une expérience encore nouvelle avec des personnes qui savent communiquer et partager leur passion de l’homme; Émotion enfin, parce que cette université a été en partie financée par le CCFD- terre solidaire de France et la Caritas international. C’est Daiane qui nous a accompagné durant cette visite.
drapeau-mstCette Université est située dans la campagne à environ 70 kms de São Paulo. Elle existe depuis 2005 (23 janvier … anniversaire dans quelques jours !).
Son originalité réside dans plusieurs dimensions :
– ce sont plus de 1000 paysans sans terre qui l’ont construite, par brigades venant pour un mois ou deux, volontairement, des quatre coins du Brésil pour construire les bâtiments;
– Parce que l’accès au savoir est essentiel pour le MST (nous y reviendrons), les cours sont gratuits et diplômants; même les repas font partie de cette gratuité; les aliments étant fournis par les campements (assentamentos) et l’Université elle-même. Notre repas sera offert.
– Concernant les cours, ce sont plus de 500 enseignants bénévoles, qui viennent des 4 coins du Brésil, reconnus pour leur compétences universitaires, leur sens pédagogique et leur professionnalisme. Ils assurent à tour de rôle, l’enseignement dans toutes les disciplines (sociologie, psychologie et sciences humaines, économie et politique, droits de l’homme, philosophie, culture, mais aussi tout ce qui concerne l’administration des assentamentos : écologie, agrologie, gestion… etc… ). La bibliothèque comprend plus de 40 000 ouvrages, essentiellement faite de dons.
P1140414– Les cours sont donnés aux élèves par « rotation » de 200, suivant le cycle et la matière enseignée (et la capacité d’accueil). Ceux-ci sont hébergés gratuitement dans des lieux de vie. A charge pour eux, de retour dans leurs assentamentos ou accampamentos, de redonner ce qu’ils ont appris à ceux qui ne pouvaient pas venir faute de moyen.
– – Une chose intéressante est la méthode pédagogique. Il n’y a que 6 salariés (1 chauffeur et 5 cuisiniers pour 400 repas en moyenne avec les enseignants et les visiteurs), et 32 permanents  bénévoles. Toute l’infrastructure matérielle est assurée par les résidents eux-mêmes qui participent à la vie collective de l’Université. Manière pour eux de contribuer à la construction et à la socialisation de la connaissance et de participer à la pérennité de l’Université. Ainsi, cours théoriques et mise en pratique vont de paire dans cette vie communautaire, contrairement aux autres universités « gratuites » mais qui ne sont accessibles qu’aux classes aisées.
– A ce jour, près de 20 000 étudiants ont bénéficié d’une formation depuis 2005… avec une participation féminine de 51 %.
–  l’originalité de l’école est également son ouverture (gratuite donc) à toute personne venant d’autres pays : du cône sud américain bien sûr mais aussi de l’Asie, de l’Afrique et même d’Europe.
– Pour la réalisation de ses différentes activités, l’Université Florestan Fernandes dispose  de lieux  divers tels que amphithéâtre, auditoriums, imprimerie, avec productions audiovisuels et culturels,  outils didactiques, audiovisuels, informatiques (moyens encore bien pauvres pour ces derniers, fautes de capacité de financement).
– Plus qu’une formation où chacun prend pour soi un savoir comme dans une université classique, trois aspects caractérisent l’identité populaire de l’université : 1) l’origine de classes et la lutte contre l’exclusion sociale, 2) la recherche permanente de la connaissance , 3)  l’unité entre la solution des problèmes immédiats et la recherche de la transformation de la société. Il y a un « ensemble » qui se dit dans cette approche.
– n’oublions pas, pour cette université en pleine campagne, les infrastructures matérielles telles que buanderie industrielle, productions diverses, ferme, eau…), espaces sportifs, de détente, …
– Toute cette organisation suppose une  » mistica » (voir ici) c’est à dire un mode et une pensée commune de fonctionnement qui se dit à travers des symboles forts (lever de drapeau le matin, tâches communes dans un certain esprit, attribution de nom de personnes, « marquantes » pour le mouvement, pour les différents lieux de vie. Ces personnes sont, ou ont été, porteuses d’un idéal à poursuivre et sont perçues comme témoins d’une vie donnée…
P1140406Pourquoi ce souci de procurer une formation aux plus démunis ?
Dans le contexte mondial actuel, caractérisé par une économie  internationale basée sur une libéralisation croissante du marché et des finances, l’agriculture n’échappe pas à la pression planétaire. Il est essentiel pour les paysans sans terre de comprendre les rouages socio-économiques, politiques et financiers qui mènent le Brésil, le continent et le monde pour ne pas continuer à rester en touche et agir sur des changements à tous ces niveaux.
L’éducation est depuis toujours un secteur fondamental pour le MST, qu’elle concerne l’alphabétisation, la formation technique ou encore la formation politique. (Des écoles sont systématiquement construites dans les campements, soit 2 000 écoles ayant accueilli quelque 200 000 enfants. Plus de 50 000 jeunes et adultes ont également suivi des programmes d’alphabétisation). Le programme spécifique développé à Florestan Fernandes permet d’être à même d’affronter la réforme agraire qui ne peut plus, aujourd’hui, pour le MST, se cantonner à la seule distribution de terres. Il doit intégrer des politiques de production agricole, d’éducation et de protection des droits sociaux, en garantissant à chacun les moyens de vivre en zone rurale.
bibliothèque Florestan FernandesC’est pour comprendre surtout les évolutions des rapports sociaux et des contextes politiques, que  le MST a créé cette école conçue comme une université populaire des mouvements sociaux, et qu’en peu d’années elle est devenue référence dans ce domaine.
De même sur le plan environnemental,  le MST essaie d’enseigner des techniques pour une production biologique, en harmonie avec l’environnement. ( Assistance technique, renforcement des capacités techniques, développement de production de semences biologiques pour fournir les graines non OGM aux paysans…). Le souci écologique est un des axes prioritaires du MST. Pour l’Université, dans la pratique, l’objectif est de tendre vers une autonomie alimentaire, de diminuer les dépenses vers l’extérieur et d’être un terrain d’apprentissage pour les étudiants.

P1140410On le voit c’est une formule originale qui s’est mise en place. Fragile car les soucis financiers demeurent face aux factures de grandes importances (eau, impôts, électricité..). L’Etat n’intervient en aucune manière dans ce projet sur le plan financier. (s’il y en a qui ne savent pas où placer leur argent, prendre contact avec le CCFD ! …)

Nous avons été interpellés par le dynamisme et la joie communicative des participants de cette école, personnels bénévoles et étudiants, embarqués dans un projet commun au service de tous. Il y a dans ce projet communautaire une foi en l’homme pour qu’il sorte de conditions de vies indignes, une foi en l’avenir pour que la terre soit viable et pour que  la justice et la solidarité entre les hommes soient effectives.
A la fin du repas nous avons pu rencontrer Joan Pedro Stedile, coordonnateur du mouvement des sans terre. (voir ici un interview de lui). Quand nous le remerciions pour son travail, il nous interpelle en disant « Nada de ‘obrigado’ entre companheros mas compromisso ! »
« Pas de ‘merci’ entre compagnons mais engagement ! » « ; 
« compromisso » : mot intraduisible (pour nous) en français qui veut à la fois dire « engagement, ensemble, uni ».
Le sourire de Daiane lors de notre départ était un appel : que nous cliquions sur leur page Facebook  le « j’aime » ou « like » pour atteindre les 5000 signatures que l’Université s’est fixée… Pourquoi pas la vôtre ?

« La grandeur d’un homme, se définit par son imagination et sans une éducation de première qualité, l’imagination est pauvre et incapable de donner à l’homme les instruments pour transformer le monde » .
Florestan Fernandes

Avec cette Université et avec tous ceux qui sont engagés dans  cet objectif, à notre manière nous sommes heureux de participer, modestement avec ce site,  à ce travail de formation et de conscientisation des hommes et des femmes de ce temps… et de partout … internet oblige !…

en savoir plus
– à l’ENFF la connaissance libère les conscience
– École nationale du MST “Florestán Fernandes”

… à suivre dans les prochains posts, avec l’histoire du mouvement des  Sans Terre,,  la découverte d’un assentamento…
Compromisso !

avec Pedro Stedile

Source de cet article : https://kestenig.fr/lhistoire-des-sans-terre-1-6/



« A la main »: permaculture créatrice au Venezuela avec les Sans Terre du Brésil

Venezuela, août 2019. Loin des médias, une équipe solidaire réunie par France-Amérique Latine Bordeaux Gironde, et une Brigade internationaliste du Mouvement des Sans Terre du Brésil, organisent un atelier de permaculture. Une formation impulsée par Gloria Verges et Franck David pour appuyer la création de “Tierra Libre”, le siège du réseau de producteurs de semences autochtones établi par les Sans Terre dans le village andin de La Azulita. Deux formateurs de TERRA TV se sont mêlés aux participant(e)s pour filmer les deux derniers jours de cette expérience. Au-delà de la transmission de connaissances, c’est une rencontre humaine toute particulière que révèle et raconte leur documentaire.

Image: Víctor Hugo Rivera

Son direct: Thierry Deronne

Montage: Miguel Escalona

ProductionTerra TV, Venezuela, 2019

Durée: 53 minutes. Sous-titres français

ninas

URL de cet article:  https://wp.me/p2ahp2-4Ze



Appel urgent à la solidarité internationale: contre la fermeture du Centre de Formation Paulo Freire

Le 5 septembre dernier, nous avons été surpris d’apprendre la décision judiciaire d’expulsion du Centre de Formation Paulo Freire, dans l’unité productive paysanne Normandia à Caruaru, État du Pernambuco.

Le centre possède une structure juridique appelée Association du Centre de Formation Paulo Freire, qui vise à administrer et à coordonner le centre de formation. En 1999, un auditorium a été construit et quelques logements. Aujourd’hui, le siège social a une capacité d’environ 240 personnes, tandis que l’auditorium compte en moyenne 800 personnes. En outre, l’espace comprend une cuisine, une cafétéria, un télécentre, une maison des jeunes, une académie des villes, créée en partenariat avec le gouvernement de l’État, une académie rurale, un terrain de sport et, récemment, une crèche pour enfants en partenariat avec la FUP (Fédération syndicale Unifiée des Pétroliers).

Le centre de formation n’est plus un espace d’état et est devenu un espace de formation du nord-est. Nous avons aujourd’hui des partenariats dans le domaine de l’éducation avec la ville de Caruaru pour l’organisation de deux classes d’école primaire. Nous avons également noué des partenariats avec le gouvernement de l’état pour organiser le cours «Pied enraciné».

«Pied enraciné» est le thème principal proposé par le centre de formation. Il se déroule en trois étapes, basées sur les expériences et les pratiques en agroécologie. Ce cours est conçu pour toutes les personnes vivant dans les campements et parcelles productives des paysans Sans terre de l’état de Pernambouc.

Le centre de formation Paulo Freire dessert non seulement Pernambouc, mais l’ensemble du nord-est du Brésil, proposant des cours en agroécologie et, conjointement avec différentes universités, des formations en géographie, formation vétérinaire, éducation, sécurité sanitaire et environnementale, éducation à la santé et de nombreux autres cours. Le centre est devenu, sans aucun doute, un espace précieux pour toute la région et sa fermeture serait un gâchis terrible pour tous ceux qui attachent de l’importance à l’éducation et au développement de la population sur le terrain.

Plusieurs délégations internationales de différents pays ont visité le Centre et participé à des cours de formation dispensés par le Centre.

Nous estimons que l’action proposée à l’égard du centre de formation Paulo Freire est une injustice et un affront pour tous ceux qui ont œuvré en faveur d’une vie meilleure pour les habitants du Nord-Est. Il n’y a aucune base juridique réelle qui permette cette expulsion.

Par conséquent, nous demandons respectivement que l’ordre d’expulsion soit immédiatement annulé.

La date limite pour la mise en oeuvre de cette décision judiciaire est le 19 septembre. C’est pourquoi le MST lance un appel à tous et toutes pour que vous envoyiez votre protestation, pour exiger que l’ordre d’expulsion soit stoppé immédiatement.

Les lettres doivent être envoyées avant le 19 septembre aux adresses suivantes:

au bureau régional de l’Incra (Institut national de la réforme agraire) à Recife:

marcos.campos@rce.incra.gov.br
evaluoria@rce.incra.gov.br
tyronilson.santos@rce.incra.gov.br
isaias.leite@rce.incra.gov.br
charles.emery@rce.incra.gov.br

au Gouvernement de l’État de Pernambuco – Oficina del Gobernador Paulo Câmara:
governo@governadoria.pe.gov.br

Juge Tiago Antunes de Aguiar del 24 ° Tribunal Federal de Caruaru
comunica@jfpe.jus.br

avec une copie: srimst@mst.org.br

Traduction: T.D.
URL de cet article: https://wp.me/p27hZR-xJ



« Etudier, sourire et lutter » par Wesley Lima (site du MST)

Par Wesley Lima
Du site du MST

Cours dans une école itinérante à Nova Santa Rita (RS). Photo : Leonardo Melgarejo

Une éducation faite par le peuple, pour le peuple, avec le peuple. Telle est la synthèse de la méthode pédagogique adoptée dans les écoles publiques rurales situées dans les campements et dans les unités productives du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans terre du Brésil, du nord au sud du territoire.

Ce processus connecte la réalité vécue dans les campagnes avec la scolarisation et la lutte pour la terre: les enfants, jeunes et adultes, hommes et femmes, font de la connaissance scientifique une clef pour lire leur réalité et pour, de manière critique, penser les actions collectives qui peuvent l’améliorer.

Cette méthode, pensée pour dialoguer avec les différentes réalités de notre territoire national, n’est pas unique dans sa pratique, mais possède des principes importants.

La formatrice populaire et militante des Sans Terre Estado do Ceará, ​Maria de Jesus, explique qu’il n’existe pas de distinction entre étudier et lutter, parce que ces deux activités font partie de la construction du sujet. “Ce processus de participation dans la lutte sociale, dans la lutte des classes, éduque. Et l’éducation en zone rurale vient réaffirmer la permanence de ses sujets, avec dignité, avec un projet rural opposé au projet du capital”.

Pour la formatrice populaire et militante des Sans Terre dans l’état du Ceará, ​Maria de Jesus, “il n’y a pas de distinction entre étudier et lutter”. Photo: Aline Oliveira

Pour elle, l’éducation en zone rurale est pensée contre l’hégémonie de l’agrobusiness et a pour objectif de fortifier l’agriculture paysanne basée sur l’agroécologie: “dans ce contexte, l’éducation rurale est émancipatrice. Non seulement elle forme les sujets ruraux mais elle valorise leurs dimensions culturelles, leurs luttes, leurs mémoires. C’est une éducation en mouvement. C’est une éducation en lutte permanente”.

Connaissance et lutte collective

Parce qu’elle dialogue sur ces thèmes et unifie la connaissance en tant que synthèse du technique et du politique, la militante du secteur de l’éducation dans l’état de Pernambouc, Rubneuza de Souza, souligne aussi que le développement des potentialités humaines est une “praxis”. De telle sorte qu’“en développant le travail on pense sur ce qu’on fait. Nos méthodologies en rendent compte”.

Nous prenons l’éducation comme processus de formation humaine : en plus de l’éducation populaire, les gens créent la base d’une pédagogie socialiste, qui fait de l’éducation une combinaison d’éducation et d’instruction, où la vie, le travail, la lutte, font partie de la construction de ce qu’on appelle la connaissance” explique Souza.

Par ailleurs Jésus souligne que la connaissance, en tant que fondement de la formation humaine, doit être construite à partir de matrices. La première d’entre elles est l’Histoire, suivie de la dimension culturelle, l’organisation collective et le travail. Les processus éducatifs doivent se penser à travers ces quatre processus.

A propos du travail dans les relations éducatives, Jésus explique aussi qu’il est le facteur créateur, recréateur et transformateur du processus d’humanisation et d’organisation de la lutte sur le terrain. L’objectif est d’être un instrument de résistance à l’offensive du capital dans les zones rurales qui s’exprime aussi dans l’agro-industrie et dans ses rapports d’exploitation.

Agroécologie et éducation

Etudiant(e)s à l’oeuvre dans un potager collectif dans l’extrême sud de l’état de Bahia. Photo: MST

Pour avancer dans cette dimension du travail sans perdre de vue les besoins du lieu où l’école rurale s’insère, il est nécessaire de penser à cette école et d’organiser son programme scolaire à partir de la réalité du terrain.

Les expériences qui marquent la lutte pour l’intégration d’une série de thèmes, comme l’agroécologie, en tant que matière enseignée dans les écoles rurales, se trouvent dans l’État de Bahia. Aujourd’hui, dans les régions du Sud-Ouest et de l’Extrême-Sud, ce sujet figure dans les programmes scolaires des centres de formation et des écoles publiques, qui travaillent avec les enfants.

Dans l’extrême sud de Bahia, les expériences construites à partir de la lutte commune se sont concrétisées dans la municipalité d’Alcobaça. La première étape a été de proposer à la municipalité la discipline de l’agroécologie comme composante du programme d’études dans les écoles rurales. Puis, en partenariat avec le syndicat des enseignants, il a été possible de se mobiliser pour faire approuver cette matière au sein du conseil municipal. C’était la première localité de cet état à intégrer l’agroécologie dans son programme d’enseignement public municipal.

Dans une interview pour la page web du MST, accordée en novembre 2018, Dionara Ribeiro, de la coordination pédagogique de l’École Populaire d’Agroécologie et d’Agroforesterie Egídio Brunetto (EPAAEB), explique que le point central de cette réalisation fut le  » zèle  » dans la construction collective.

« Tou(te)s les éducateur(trice)s qui ont participé à ce travail ont joué un rôle fondamental, tant dans la pratique pédagogique qu’ils ont construite dans chaque école que dans la participation, le questionnement et la réflexion menés dans chaque cours et chaque séminaire » souligne-t-elle.

La définition du collectif scolaire, composé d’éducateurs et de la coordination des écoles rurales de la région, était que la discipline de l’agroécologie serait travaillée de manière interdisciplinaire, ce qui nécessitait un travail collectif entre enseignants, une restructuration organisationnelle dans de nombreuses écoles pour la réalisation de la planification. Grâce à quoi la municipalité de Santa Cruz Cabrália, située dans la même région, a inséré la discipline agroécologique dans ses cours.

Fermer une école est un crime

Cependant, malgré la reconnaissance et les récompenses accordées à ce vaste processus éducatif, l’enseignement dans les campagnes est en danger à l’heure actuelle. La fermeture des écoles est une réalité dans les campagnes brésiliennes.

Selon une enquête de l’Université fédérale de São Carlos (UFSCar), entre 2002 et le premier semestre 2017, environ 30 000 écoles rurales du pays ont cessé de fonctionner. Aujourd’hui, le Mouvement des Sans Terre, par exemple, compte plus de 2 000 écoles publiques construites dans des campements et des unités productives, et a subi plusieurs attaques de démantèlement de ces écoles.

Un certain nombre de problèmes se posent dans les écoles rurales, qui vont du retard ou du non-paiement des salaires du personnel à l’absence totale d’infrastructures. La solution que donnent les municipalités est le départ des enfants, des jeunes et des adultes de la campagne pour étudier en ville.

C’est dans cet esprit que Jésus explique que la lutte du MST contre la fermeture des écoles et pour un projet politique et pédagogique qui dialogue avec la réalité rurale est une lutte permanente. « Nous refusons de quitter la campagne pour étudier dans la ville où notre réalité paysanne n’est pas approfondie”, dénonce-t-il.

Dans ce contexte, le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre a lancé en 2011 la Campagne nationale contre la fermeture des écoles rurales, qui vise à promouvoir le débat sur l’éducation rurale avec la société dans son ensemble, à articuler différents secteurs contre ces régressions et à dénoncer la fermeture des écoles.

Source: http://www.mst.org.br/2019/05/21/estudar-sorrir-e-lutar.html

Traduction: Thierry Deronne

URL de cet article: https://wp.me/p27hZR-xr



Un film sur le travail des Sans Terre au Vénézuéla: « Semences, rêves et contradictions » (Terra TV, 2019)

Il y a 13 ans un accord entre le Gouvernement de Hugo Chavez et le Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terre a permis la présence permanente au Venezuela de formatrices et formateurs brésiliens. Au service de la souveraineté alimentaire mais aussi comme porteurs d’une expérience latino-américaine des plus importantes en matière de formation intégrale pour les mouvements sociaux. Ce travail qui ne s’est jamais arrêté malgré de nombreux obstacles bureaucratiques.

taller maizal 7.png

La compagne Yirley Rodriguez (photo), formatrice et militante féministe explique: “L’école de formation internationaliste “A Namuna signifie “la semaille”. C’est le mot Warao pour dire “semaille”. Nous avons choisi un nom indigène en tant qu’école décoloniale. L’école est le produit d’expériences de formation que nous nos mouvements sociaux mènent depuis de nombreuses années, appuyés par le Mouvement des Sans Terre du Brésil et sa Brigade Internationaliste Apolonio de Carvalho qui s’est établie au Venezuela il y a 13 ans, ainsi des organisations comme “Femmes pour la vie”, “Front Culturel de Gauche”, Editions “La tranchée”, etc… Plusieurs organisations ont envoyé des compagnes et compagnons étudier dans l’école “Florestan Fernandes” au Brésil, l’école des Sans Terre, et y ont appris une méthode de formation intégrale, basée sur l’éducation populaire. Nos cours couvrent des aspects tels que l’organisation révolutionnaire, le féminisme populaire, la formation de formateurs(trices). L’école “A Namuna” part du contexte populaire, pour ne pas séparer l’étudiant de la réalité populaire dans laquelle il ou elle est immergé(e), pour qu’il la vive, collectivement, pour mettre à jour les contradictions, les problématiser et pour que les étudiants cherchent à les dépasser à travers l’organisation sociale. Notamment en construisant des relations de production socialistes et féministes. C’est pourquoi nous avons organisé cet atelier dans le cadre d’une prise de terres de commune El Maizal.”

amanuma 4.png

anamuna 1.png

Une des méthodes apportées par le Mouvement des Sans Terre est la « Ciranda ». Une équipe formée par les étudiant(e)s s’occupe des enfants pour que les femmes qui sont mères puissent participer pleinement au cours. A ce moment prendre soin des enfants des travailleuses devient les enfants devient une responsabilité de tout le collectif du cours.

el maizal curso 8

C’est sur l’espace d’une prise de terre par la Commune El Maizal que le cours est organisé, pour mieux marier étude théorique et apprentissage pratique, pour maintenir le concept d’une pédagogie liant l’étude à l’immersion dans la réalité populaire. Chaque sous-groupe étudiant apprend avec les habitants un aspect différent du travail, traire les vaches, réparer des outils, cuisiner, cultiver les parcelles… C’est une autre caractéristique de la pédagogie politique des Sans Terre.

Réalisation: Yarumi Gonzalez.

Montage: Miguel Escalona.

Production: Terra TV.

République Bolivarienne du Venezuela 2019.

URL de cet article: https://wp.me/p2ahp2-4KO



Pour le Mouvement des Sans Terre, « on peut voyager grâce aux livres »

Les enfants sont invités à découvrir le monde de la lecture dans l’école du Contestado. Photo : Ana Santos

Par Antonio Kanova
Du Site du MST

Ce qui fut hier la maison des esclaves afrodescendants, ceux et celles que fouettait le Baron de Campos Gerais, est aujourd’hui l’espace où les enfants paysans peuvent lire, jouer et s’amuser. Telle est l’histoire de l’école municipale de Campo Contestado, dans la ville de Lapa (Paraná). Une ambiance heureuse, visible dans les visages de 30 enfants, a marqué l’activité organisée le jeudi (25) par l’école, en collaboration avec le Centre Culturel Casarão, dans le quartier du Contestado.

Ana Claudia, éducatrice de troisième année, explique que le processus pédagogique fait du processus d’incitation à la lecture une activité quotidienne et constante.Nous mettons l’accent sur l’habitude de lire, mais nous insistons aussi sur le fait que la lecture peut se faire dans des environnements où les enfants se sentent à l’aise. Ainsi, l’apprentissage va au-delà de l’école.

Photo: Ana Santos

Développer l’accès à la diversité culturelle est le pilier de cette union entre l’école et l’Unité Productive des Travailleurs Sans Terre. « Le centre culturel Casarão est important parce qu’il favorise la formation humaine intégrale, en favorisant la rencontre du public des Sans Terre avec les arts visuels, la danse, la musique, la littérature, le cirque, le cinéma et le théâtre » précise Sylviane Guilherme, du collectif de travail du Centre culturel de Casarão.

L’initiative s’inscrit dans le cadre d’une campagne menée par le Secteur de l’éducation et par le Collectif National de la Culture du MST, sur le thème « Pour le droit à la littérature dans les écoles rurales« , renforçant l’idée qu’il est possible de voyager dans les livres.

Le Centre Culturel Casarão est une conquête des familles de l’établissement contesté et est devenu le premier espace artistique dans le domaine de la réforme agraire dans la région sud du Brésil. Situé dans le village de Contestado, l’espace a donné aux familles la possibilité d’accéder à la culture et à l’art. Depuis le début de ses activités, en juillet 2018, ce centre a réalisé plusieurs activités mensuelles, allant de la projection de films à des représentations théâtrales, ou à des spectacles musicaux, entre autres.

Photo : Sylviane Guilherme

Rien que pour le mois d’avril, outre l’activité organisée en partenariat avec l’école municipale, ont eu lieu des projections de films nationaux et latino-américains, ainsi que deux ateliers de tambour, de chant et de broderie avec les Joueuses de Tambour do Divino Espírito Santo de Curitiba, des expositions d’arts plastiques et d’artistes populaires locaux.

Source : http://www.mst.org.br/2019/04/25/escola-do-campo-proporciona-uma-educacao-libertadora.html

Traduction : Thierry Deronne

URL de cet article : https://wp.me/p27hZR-xg



Brésil: la dangereuse relation entre agrobusiness et industrie culturelle

Par Michele Carvalho, pour Brasil de Fato

L’année 2019 vient à peine de commencer que la question de la propriété de la terre au Brésil fait déjà l’objet d’assauts violents de la part du nouveau président, Jair Bolsonaro. Quelques heures après son inauguration, le capitaine à la retraite a nommé Tereza Cristina Corrêa da Costa Dias, lobbyiste de l’agrobusiness et des pesticides, au ministère de l’Agriculture, lui octroyant la responsabilité de la démarcation des terres indigènes et des quilombolas, propriétés des communautés afrodescendantes. Le gouvernement vient aussi de retirer leurs concessions aux radios associatives… Par une autre décision, Bolsonaro a supprimé le Conseil national de la Sécurité Alimentaire et Nutritionnelle (Consea). Composé de 60 personnes, y compris des représentants de la société civile et du gouvernement, cet organisme avait notamment pour objectif de préconiser une alimentation saine et sans pesticides. Par ces mesures, le nouveau gouvernement fait un cadeau au lobby des grands propriétaires et de l’agroindustrie – un mode de production qui occupe de plus en plus d’espace ces dernières années dans l’imaginaire social des brésiliens.

Ana Manuela Cha, auteure de « Agrobusiness et industrie culturelle », membre du Collectif « Culture » du Mouvement des Travailleurs Ruraux Sans Terres du Brésil

Dans son livre « Agrobusiness et industrie culturelle – Stratégies des entreprises pour la construction de l’hégémonie », la psychologue et membre du Mouvement des Travailleurs Ruraux sans terre (MST), Ana Manuela Chã, évoque l’influence des médias pour renforcer et populariser le discours de l’agrobusiness.

Michele Carvalho – Qu’est-ce que l’industrie culturelle à a voir avec l’agrobusiness ?

Ana Chã L’industrie culturelle est liée à l’agrobusiness au sens d’installer dans l’imaginaire collectif l’idée que l’agrobusiness est le seul modèle possible d’agriculture au Brésil. L’agrobusiness a construit dans les dernières décennies en particulier une hégémonie dans les champ économique et politique. Mais, au-delà, ils se consacrent aussi à construire une image du secteur comme quelque chose d’indispensable pour la croissance de l’économie brésilienne et comme proposition et projet pour la campagne brésilienne.

Quelles sont les principaux outils de l’industrie culturelle utilisés par l’agrobusiness pour faire passer cette idée qu’il est la seule issue pour le Brésil ?

Les publicités, la production de ressources culturelles à distribuer en masse comme les films, les feuilletons, la musique… c’est par ces mécanismes et véhicules de communication de masse que l’agrobusiness cherche à influencer et à construire un imaginaire sur la campagne que nous aurions aujourd’hui au Brésil. S’il y a 20 ans, nous demandions aux gens de la rue ce qu’était l’agrobusiness, une bonne partie d’entre eux n’aurait su que répondre. De nos jours, principalement à travers ces fortes campagnes télévisées, comme la plus récente, celle qui dit que l’agro est tech, pop, qu’il est tout, l’agroalimentaire se vend comme producteur d’aliments et comme producteur de vêtements. Alors qu’ils sont les grands producteurs pour l’exportation de produits de base. La grande force de l’agrobusiness au Brésil est de produire pour les exporter des céréales, mais aussi du bétail et du jus d’orange. Mais ils tiennent ce discours et vendent cette image de producteurs de denrées alimentaires, avec une énergie soi-disant “propre”.

 

 

Tout cela se produit à travers ces mécanismes, pour parler vite, de l’industrie culturelle et des médias. Toutefois, ces dernières années, au cours de la dernière décennie, l’industrie agroalimentaire a également construit ce discours, cette image dans les zones rurales. Là, en général, ils ont cherché à agir dans les domaines de l’éducation, de la culture et de l’art. Ils sont dans des écoles, des petites communautés, des petites municipalités, parrainés via la Loi Rouanet avec des fonds publics, organisant d’excellents spectacles de musique du nord-est, parrainant également des spectacles d’orchestres symphoniques, mais aussi des projets éducatifs dans les communautés pour la plupart des enfants, des adolescents, des jeunes, bref ils cherchent à faire de manière voilée cette publicité pour leur projet.

Quand l’agrobusiness a-t-il commencé à utiliser l’industrie culturelle pour diffuser son idéologie ?

Dès les années soixante, on observe l’influence et le soutien puissants de l’industrie culturelle, via les mécanismes disponibles à l’époque. Nous avons déjà de la publicité à la télévision, toujours à petite échelle, mais également à la radio. Principalement à partir du coup d’État militaire de 1964, se renforce la proposition globale issue de la révolution verte, qui a ensuite été réintroduite dans un paquet technologique basé sur les pesticides. Il leur était donc nécessaire de mener cette campagne envers le public mais aussi vers les agriculteurs. Avec la radio, par exemple, il est très facile de toucher directement les agriculteurs et de leur montrer tous les avantages qu’ils auraient à adopter cette nouvelle proposition pour l’agriculture.

Depuis lors, tout cela s’est intensifié. Le système télévisé Rede Globo, par exemple, prend pied sur l’ensemble du territoire et ce partenariat, pour ainsi dire, devient constant et plus présent. Nous aurons donc des programmes musicaux qui apportent dans une certaine mesure, un message sur ce que serait ce changement dans le domaine. Ils commencent également à considérer la campagne comme un lieu que les machines occuperaient pour substituer l’être humain et que celui-ci puisse venir en ville tranquillement et que nous continuions à disposer de ce que l’agriculture produit.

Aujourd’hui, si on examine la composition de l’Association brésilienne d’agro-industries (ABAG), on voit que le réseau de télévision Rede Globo fait partie de cette association. Et si on regarde la plus récente des industries agroalimentaires, “l’agro est tech, est pop, est tout” on voit qu’il a été conçu par la direction marketing de Rede Globo. Eux aussi sont intéressés par le renforcement du secteur agroalimentaire et, dans une certaine mesure, par son positionnement comme la seule possibilité pour les campagnes brésiliennes, et aussi de retirer de l’actualité des thèmes tels que la réforme agraire et l’agriculture familiale.

Ce processus va-t-il s’intensifier sous le gouvernement Bolsonaro, quelle perspective vois-tu sur ce plan ?

C’est encore assez nébuleux, mais comme de toute évidence, la bataille dans les champs idéologique et symbolique a constitué l’un des investissements de ce nouveau gouvernement, et qu’une de ses bases de soutien est précisément le secteur agroalimentaire, on peut penser que cela continuera, du point de vue de la publicité et de la promotion de ce projet, au même niveau symbolique.

Du point de vue de nos recherches, ces actions dans les communautés ont profité du financement et des mécanismes de la loi Rouanet, dont on ne sait toujours pas ce qu’elle va devenir. La loi Rouanet, en tant que financement public de la culture, a fini par être utilisée comme un instrument de lutte idéologique. Bien qu’elle fût complètement insérée dans une politique néolibérale de soutien à la culture, elle avait fini par revêtir un caractère de lien avec les gouvernements de Lula et Dilma. Donc nous ne savons pas combien de temps cela va durer, bien sûr, cela ne dépend pas uniquement du gouvernement. Au cours des deux dernières années, nous avons assisté, de manière tout à fait superficielle, à une diminution des projets que ces entreprises agroalimentaires mèneraient. Personne ne sait désormais comment se comportera l’industrie dans ce domaine.

Notre défi se situe désormais dans cette bataille idéologique ?

Du point de vue des défis, nous devons nous opposer au discours plus général, conservateur, hégémonique, sur la régression des droits des travailleurs. Plus spécifiquement, sur le terrain, il faut s’opposer à ce discours sur l’agrobusiness comme unique horizon pour les campagnes brésiliennes, porter à la connaissance de la société toutes les contradictions de ce modèle, comment il est effectivement responsable de plusieurs impacts environnementaux par la déforestation, comment repose encore sur le travail précaire, souvent analogue à l’esclavage, comment il est orienté vers l’exportation.

D’autre part, il faut remettre à l’ordre du jour des citoyen(ne)s le besoin urgent d’un projet de réforme agraire, de renforcer les politiques abandonnées depuis deux ans, d’encourager la production agroécologique et, fondamentalement, la possibilité pour les populations de vivre à la campagne.

La Réforme agraire populaire offre un projet intégral où le sujet qui vit et produit à la campagne a le droit de produire sa propre culture, son propre art. Droit à l’éducation, à la santé et à des conditions de vie décentes. C’est un peu là que se situe la confrontation dans le champ idéologique, sachant que les grands groupes privés ont l’avantage : ils ont la propriété des médias et même des mécanismes par lequel ils financent des activités culturelles et artistiques au Brésil.

Source: http://www.mst.org.br/2019/01/05/a-perigosa-relacao-entre-o-agronegocio-e-a-industria-cultural.html

Traduction: Thierry Deronne

URL de cet article: https://wp.me/p27hZR-wZ